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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/950

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possédons désormais ; et nous n’avons plus même à nous mettre en quête d’une excuse pour justifier la conduite de Carlyle à l’égard de sa femme, car cette conduite ne semble pas avoir jamais rien eu qui méritât d’être justifié. Un nouveau témoignage vient de se produire, à l’encontre de celui qui nous avait trompés il y a vingt ans : et ce témoignage émane, lui aussi, de Mme Carlyle. C’est elle-même qui se charge de nous montrer que, si peut-être nous avons eu raison de la plaindre, certainement nous avons eu tort d’accuser son mari. Une nouvelle série de ses lettres, et de nouveaux extraits de son journal, que publie aujourd’hui un neveu de Carlyle, la révèlent pleinement à nous dans l’intimité de son cœur ; et nous y découvrons, du même coup, l’histoire complète d’une des plus étonnantes aventures littéraires qu’ait produites, à coup sûr, notre malheureuse habitude de vouloir pénétrer de force dans la vie privée des hommes de génie.


Dans son testament, écrit en février 1873, Carlyle avait dit :


D’un manuscrit intitulé : Lettres et Mémoires de Jane Welsh Carlyle, qui se trouve parmi mes papiers, mon bon et fidèle ami J.-A. Froude prendra soin en mon lieu, ainsi qu’il me l’a affectueusement promis ; à lui donc je le laisse, en le priant solennellement de faire à son sujet ce qu’il jugera le meilleur et le plus sage, comme du reste je suis certain qu’il le fera. J’ai joint une foule de menus souvenirs autobiographiques à ce manuscrit, par manière d’annotations, mais sans y attacher d’importance que pour autant qu’ils peuvent servir à élucider ou à compléter le texte ; et quant à une biographie véritable de moi, je préférerais qu’on n’en écrivit point. J. -A. Froude, John Forster, et mon frère Jean auront à examiner soigneusement le susdit manuscrit avec ses appendices ; la réunion de leurs précieuses droitures et impartialités leur permettra de juger mieux que je ne saurais le faire quel parti pourra être tiré de ce manuscrit. En tout cas, celui-ci n’est pas prêt le moins du monde pour la publication ; et je n’ai aucune idée arrêtée sur la question de savoir comment le tout ou des parties auront à être publiés, ni après quel délai, sept ans, dix ans ? Mais, sur tous ces sujets, je m’en remets à l’expérience pratique de J.-A. Froude, et souscris d’avance à sa décision. Je lègue à ma nièce, Mary Carlyle Aitken, une copie incomplète du susdit manuscrit, qui se trouve parmi mes papiers avec les originaux des lettres de ma femme.


Malheureusement, lorsque Carlyle mourut, en 1881, son frère Jean et son ami Forster (le célèbre biographe de Goldsmith et de Dickens) étaient morts : de telle sorte que les manuscrits de Mm0 Carlyle se trouvaient entièrement confiés à « l’impartialité, » et à « l’expérience pratique » de James Anthony Froude. Celui-ci était un des hommes les plus intelligens de son temps, et, comme l’on sait, un admirable