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rentrent les uns dans les autres, se couvrent, se superposent, comme ces boîtes que l’on vend dans les bazars. Peut-être y en a-t-il parmi eux de fort beaux. Cela se voit en Chine, où longtemps avant nous on découvrit l’art des dessous. En tout cas, l’extérieur est sordide, fait d’une pelisse ouatée, couverte de taches, bordée d’une fourrure galeuse, chauve bientôt.

La terre apparaît, montagnes escarpées et rougeâtres aux sommets noyés dans la brume. Puis c’est la rivière Min avec de nombreuses jonques de mer qui sortent ou qui rentrent, déployant leurs voiles aux formes étranges comme des ailes de papillons. L’avant plonge dans la mer, disparaît incessamment sous la lame, montre, quand il émerge, deux gros yeux peints, deux yeux de monstre, destinés à écarter les mauvais génies, ceux des naufrages et des tempêtes. L’arrière est surélevé, rond, surplombant, s’agite au-dessus de l’eau d’une façon ridicule, avec quelque chose de grotesque et de lourd comme l’arrière-train d’un gros monsieur.

Nous remontons un bras du fleuve qui se faufile entre les montagnes presque à pic où les Chinois ont pourtant trouvé moyen d’accrocher des rizières et des champs de blé. Sur des îlots ou au pied des monts, des villages entourés d’arbres verts, des jonques à l’ancre, des sampans. Mais la rivière s’élargit, les bras se rejoignent avant de se séparer encore, forment une sorte de lac ; voici des navires, des chantiers, des usines ; c’est « Pagoda Anchorage » et l’arsenal de Fou-Tchéou.

Le 23 août 1884, ici même, l’amiral Courbet livra bataille à la flotte chinoise et la coula tout entière à l’exception d’un petit bateau d’un faible tirant d’eau qui put s’échapper en remontant le haut fleuve. Aujourd’hui les couleurs françaises sont représentées au mouillage par le Jean-Bart, un de nos croiseurs d’Extrême-Orient. Je tiens de M. le capitaine de frégate H…, commandant en second de ce navire, un détail amusant sur ce combat auquel il assista. La veille au soir, l’amiral Courbet avait rompu les négociations et annoncé aux Chinois qu’il allait livrer bataille. Les bâtimens de commerce et les navires de guerre étrangers avaient été prévenus et s’étaient mis à l’écart, laissant ancrées face à face, dans la rivière, les deux flottes ennemies. Dès le matin les Chinois firent leurs préparatifs. On les voyait pointer leurs canons avec le plus grand soin. Personne ne bougeait à bord des navires français. Courbet connaissait assez ses