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un autre monde et à des mœurs nouvelles. — Je ne dis nullement par-là que le paysan soit indifférent à une pièce paysanne et qu’il ne prenne pas de plaisir, lui qui n’est blasé sur aucun, à y reconnaître sa vie, ses préoccupations, ses joies et ses malheurs : l’expérience prouve le contraire. Mais elle montre aussi qu’il a besoin d’autres visions et qu’il demande au spectacle de le transporter dans un milieu différent du sien. Peut-être le réalisme tout nu peut-il suffire à ceux dont la vie est devenue factice, car il a pour eux l’attrait de la nouveauté, mais non à ceux qui ont constamment les regards et l’esprit tendus vers une réalité précise. Et voici bien le point où l’art a pour fonction de créer l’idéal, et où ce mot, usé par la lassitude des oisifs, reprend sa signification et sa légitimité vénérables. — « Oui, c’est une belle pièce : seulement les personnages sont habillés comme moi. » — Tel est le mot entendu de la bouche d’un spectateur, à propos d’une de ces œuvres rustiques. Bien d’autres l’ont redit, et je sais le souhait exprimé à plus d’une reprise par ces spectateurs sincères que ce théâtre, — leur théâtre, — ne leur refusât point un peu de rêve, en leur ouvrant ces royaumes nouveaux où des personnages, vêtus de costumes étrangers et brillans, dans des décors inconnus, accomplissent de belles et fortes actions.

Ce désir, l’auteur le comprenait bien. Lui qui s’était jusqu’alors senti, — et c’est là sans doute le meilleur de sa force, — en accord de pensée avec ceux de sa race, il éprouvait aussi l’envie, après avoir, sept ans de suite, fait parler et agir des campagnards naïfs, malicieux ou cupides, de voir monter sur la scène les représentans d’une plus vaste humanité, d’entendre parler une grande voix tragique : oui, tous nous avions besoin de sortir un instant de notre existence ; nous réclamions des héros. Macbeth fut joué. — Quand même il n’aurait pas réussi à rendre, sur cette scène aux ressources limitées, toute sa violence et sa terreur, qu’importe ? En est-il une, d’ailleurs, où vous l’ayez vu se dresser de toute sa taille et où la réalisation ne vous semblait pas trahir, par quelque point, le modèle que s’en était créé votre imagination ? — Qu’importe qu’on ait ri en voyant gesticuler les sorcières ? Est-ce donc vraiment parce qu’elles ne faisaient plus peur, parce que personne n’y croyait plus ? — Mais cet effroi que vous attendiez d’elles, de combien d’artifice, de suggestion, de littérature en un mot était-il mêlé dans votre cerveau ? Les sorcières de Macbeth sont terribles, parce qu’elles