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attirante, le fleuve et son murmure, la sirène et sa chanson. Mais quand. vient le dénouement et, sinon la morale, au moins la leçon de mélancolie, de malheur et de mort ; quand la voix redit plusieurs fois, et chaque fois plus pénétrante, les deux derniers vers :


Und das hat mit ihrem Singen
Die Loreley gethan,


alors il semble bien que la musique entre plus avant en nous, et que la belle devise, ou plutôt la belle démarche de l’âme : Ab exterioribus ad interiora, se réalise également dans l’ordre de l’esprit.

Il ne fallait pas moins, pour nous consoler d’un chef-d’œuvre outragé, que tant de chefs-d’œuvre honorés par une admirable interprète. Loin du théâtre, de son appareil ou de son attirail grossier, de ses conventions et de ses mensonges, ce fut pour la musique, et pour elle seule, pour la pure et libre musique, une revanche éclatante. Pas un atome de matière ne vint en ces deux journées corrompre un idéal qui n’eut pour artisan et pour serviteur que le souffle d’une femme. Tantôt léger comme un soupir, tantôt profond comme un sanglot, ce souffle a ranimé en nous, autour de nous, toutes les formes et toutes les forces de la vie. Il a suffi de cette jeune voix pour nous rendre les spectacles disparus et les rêves évanouis, pour nous rouvrir les deux royaumes de l’univers et de l’âme, l’infini de la réalité et celui du mystère.


Und das hat mit ihrem Singen
Die Loreley gethan,


« Et voilà ce que la Loreley a fait avec son chant. »


CAMILLE BELLAIGUE.