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armée et ses sujets de sa royale protection. Ce langage est habituel en pareilles circonstances ; mais, quand on songe à ce qu’ont eu de spécial celles qui ont précédé et amené son avènement au trône, on se demande s’il n’aurait pas bien fait de modifier quelque peu les formules usuelles. Enfin, le voilà roi : que va-t-il faire ? C’est ici que la difficulté commence. Parmi les premières félicitations qu’il a reçues, nous ne comptons pas celles du prince de Monténégro, qui est son beau-père, ni du roi d’Italie, qui est son beau-frère. Dans le reste du monde, Pierre Ier n’a trouvé que deux souverains qui aient mis de l’empressement à le complimenter ; il est vrai que ce sont les plus importans pour lui, parce que ce sont ceux qui peuvent avoir le plus d’influence sur ses destinées : l’empereur de Russie et l’empereur d’Autriche. Le télégramme du Tsar a dû, au premier abord, remplir le nouveau souverain d’une joie sans mélange ; il n’y avait là aucun mot malsonnant, aucune réserve déplaisante. Si le roi Pierre a été satisfait de la cordialité de ce télégramme, l’Europe a été surprise de sa précipitation. Mais le revers de la médaille n’a pas tardé à apparaître.

Le Messager du Gouvernement a publié, à Saint-Pétersbourg, un communiqué dont voici le passage saillant : « Tout en saluant l’élection du nouveau monarque, descendant d’une glorieuse dynastie, et en souhaitant un succès complet au chef de la nation serbe, coreligionnaire de la Russie, le gouvernement impérial ne peut s’empêcher d’exprimer l’assurance que le roi Pierre Ier fera preuve de justice et d’énergie en prenant avant tout des mesures pour soumettre l’abominable forfait à une enquête et pour punir sévèrement les hommes déloyaux et criminels qui se sont souillés d’un régicide. Toute l’armée serbe ne peut naturellement pas être rendue responsable de ce crime qui indigne la conscience publique ; mais il serait dangereux pour la tranquillité intérieure de la Serbie qu’un coup d’État accompli violemment par des militaires ne fût pas expié par le châtiment nécessaire. Si cette punition n’était pas infligée, une pareille omission exercerait sûrement une influence fâcheuse sur les relations de tous les États avec la Serbie et créerait de graves difficultés au gouvernement naissant de Pierre Ier. » Les Serbes ont été très étonnés en lisant cette note : nous parlons de ceux qui l’ont lue, et ce n’est pas la majorité, car elle n’a pas été publiée par leurs journaux. Eh quoi ! l’Europe n’admirait pas leur héroïsme ? Bien plus ! l’empereur Nicolas employait les expressions les plus dures contre « les hommes déloyaux et criminels » qui avaient indigné la conscience universelle et auxquels il était nécessaire