Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’infliger un châtiment. C’était à ne pas y croire. Bientôt est arrivé le télégramme de l’empereur d’Autriche. « Puisse-t-il être accordé à Votre Majesté, disait François-Joseph, d’accomplir avec succès la noble mission qui lui est confiée, en rendant la paix, la tranquillité et la considération au malheureux pays qui a été si cruellement éprouvé par une série de bouleversemens intérieurs, et en le relevant de la chute profonde qu’il a faite aux yeux du monde civilisé par suite du crime odieux et généralement abhorré qu’il a commis récemment ! » L’empereur François-Joseph ne demande pas aussi catégoriquement que la note russe le châtiment des coupables, mais il qualifie le crime dans des termes non moins sévères, et il invite le nouveau roi à rendre à son pays la considération qu’il a perdue. Cela est pénible à entendre, il faut l’avouer. Quant aux autres gouvernemens, ils n’ont rien dit, et se sont contentés d’interdire à leurs représentai d’assister à l’entrée du nouveau roi dans sa bonne ville de Belgrade et à la réception qui a suivi. Les représentans de la Russie et de l’Autriche y ont seuls figuré, le premier en uniforme, le second en redingote, nuance vraiment diplomatique. Cette abstention des autres puissances, grandes et petites, paraît avoir été déterminée par celle de l’Angleterre. Interrogés à la Chambre des communes et à la Chambre des lords, M. Balfour et lord Lansdowne ont dit que le gouvernement britannique s’était d’abord demandé s’il n’y avait pas lieu de rappeler son agent : il avait pensé ensuite qu’il valait mieux le laisser en situation d’observer les événemens et de protéger les intérêts de ses nationaux. Toutefois il ne devait pas se rendre au-devant du roi et finalement il a été invité à prendre un congé. Les autres puissances ont plus ou moins suivi cet exemple. Le roi Pierre Ier, en arrivant à Belgrade, n’a pas senti l’Europe autour de lui.

Il aurait été encore préférable, à notre sens, que toutes les Puissances retirassent leurs agens le lendemain de la nuit sanglante, car ils n’étaient plus accrédités auprès de personne. Cela aurait mieux valu, non seulement par respect pour la morale naturelle qui venait d’être outrageusement violée, mais peut-être même dans l’intérêt du futur gouvernement de Serbie. On lui demande en effet de châtier les assassins d’Alexandre et de Draga : comment le pourrait-il faire ? La Skoupchtina les a couverts d’une amnistie ; le gouvernement qui s’est immédiatement installé aux affaires était certainement leur complice ; et qui sait où s’arrêteraient ces complicités, si les meurtriers, devenus des accusés, se mettaient à parler ? Si on voulait l’expiation du crime, il fallait rompre résolument tous rapports avec le pays où il