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Mais, quelle que soit la rédaction des textes, quelque forte que puisse être la volonté du législateur, les prescriptions les plus solennelles ne portent pas en elles-mêmes leur sanction.

Les véritables garanties sont de deux sortes : la nullité des actes et la réparation due à la victime. Voyez ce qu’est l’Habeas corpus qui depuis trois siècles protège en Angleterre la liberté individuelle : la Cour du banc du roi, qui mande devant elle celui qui a ordonné la détention et le détenu, ne se borne pas, si elle annule le mandat, à élargir le prisonnier ; elle fixe les dommages-intérêts qui lui seront immédiatement versés et prend des mesures pour qu’ils soient payés par le coupable. Nous touchons ici au problème le plus grave, à la responsabilité des dépositaires du pouvoir.

En France, où nous sommes justement fiers de notre législation civile, tout ce qui touche à la responsabilité est corrompu par une idée fausse : l’irresponsabilité de l’État.

Les mêmes personnes qui voudraient investir l’État de tous les monopoles, le faire intervenir en tout, le transformer en une sorte de providence laïque distribuant à pleines mains l’argent des contribuables, s’accommodent de lois qui refusent toutes réparations aux victimes de fautes commises par l’État. L’erreur d’un employé du télégraphe peut causer la ruine de dix, de vingt personnes : l’impunité sera complète et nul ne proteste contre la loi qui a mis l’État hors du droit commun. Tous les principes du droit, tous ceux sur lesquels reposent les contrats, la première de toutes les lois naturelles, l’obligation de réparer le dommage produit par tout fait quelconque de l’homme, en un mot les règles même les plus élémentaires de la conscience sont altérées et comme déviées, lorsqu’il s’agit de la personne morale la plus puissante, de celle qui devrait offrir le modèle du respect du droit et qui donne au peuple l’exemple de sa violation. Contre ce sentiment très vulgaire des foules, il faut que l’élite des intelligences ne cesse de réagir ; il faut répéter qu’une société civilisée est celle qui ne laisse aucune force sans action, aucun droit sans recours.

Tout ce qui touche à la liberté du citoyen doit être revêtu d’une sanction très précise. Contre celui qui n’a pas amené sur-le-champ au juge l’individu arrêté, contre le magistrat qui a

    Chambre du conseil toute perquisition chez un tiers non inculpé, et d’entourer de garanties l’apposition de scellés (Journal officiel du 1er juillet, p. 2200).