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mal, s’il avait eu l’étoffe d’un Photius ; son intelligence jouisseuse ne s’acharna jamais à aucun de ces deux rôles. Il aimait l’Église et la maçonnerie, parce que c’étaient deux institutions humanitaires ; il aimait la foi, qui affranchit l’humanité du chagrin, et la philosophie, qui l’affranchit du préjugé. Et son cœur était large, — trop large, — et son intelligence était riche, trop riche, — eu égard à sa faiblesse de volonté : ses qualités d’esprit et ses attitudes de cœur ne lui pouvaient tenir lieu de vertus solides et viriles ; tout aimables et toutes brillantes qu’elles fussent, elles ne l’empêchèrent point d’être médiocre ; bien plus, elles le rendirent médiocre. La primatie des salons, ou celle des cercles littéraires, était sa vocation ; l’on y était épris de lui, et les plaisirs qu’y trouvait sa fatuité faisaient de lui le plus merveilleux des causeurs. Goethe, qui considérait tous les hommes comme des miroirs chargés de lui refléter sa propre personnalité, et de l’embellir, et de la parfaire, se disait très reconnaissant à Dalberg, qui lui avait appris à bien regarder la nature. Schiller appréciait ses flacons de vin : « Celui qui sait bien abreuver ses brebis, écrivait-il, je l’appelle un bon pasteur ; » il appréciait aussi ses coups d’œil clairs, rapides, larges, qui donnaient tant de charme à son entretien ; et son humeur, enfin, qui le rendait d’un commerce très agréable. Au dire de Humboldt, nul ne savait, comme Dalberg, éveiller et exciter les idées. Bref, l’Allemagne littéraire tout entière lui décernait le sceptre de la conversation. Mais c’est dans une primatie d’un autre ordre que l’asseyait Napoléon ; Dalberg s’y installa, comme en un fauteuil de salon ; mais il y fut aussi pale qu’ailleurs il était étincelant.

Ayant accès à l’oreille de l’Empereur, demeurant riche, lui seul, parmi la détresse universelle de l’Église d’Allemagne, et vivant de plain-pied avec tout ce que l’Allemagne comptait de penseurs, d’écrivains et d’artistes, Dalberg avait un rôle ecclésiastique à jouer, qu’il ne joua pas. C’est à un rôle politique qu’il songea, à une combinaison qui ferait de lui le premier personnage d’une Allemagne unifiée, et non point le chef effectif, ni même le directeur d’opinion, mais, purement et simplement, l’occupant de la place d’honneur : la vanité, chez lui, coupait les ailes à l’ambition, et l’immobilisait dans une préséance de façade. Tantôt rieur, tantôt agacé, Napoléon sut profiter de ces « rêves de songe-creux, » comme il disait, pour organiser la Confédération du Rhin ; et Dalberg, qui mesurait à l’ostentation