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« de la couleur, » de l’indispensable couleur, désormais « libérée de la statue. » L’exemple de Verocchio à Venise et de Quentin Matsys à Anvers me semble décisif. Michel-Ange, ai-je osé dire, hésita toute sa vie entre les deux routes vers l’expression souveraine de l’art moderne : le métier du Penseroso ou de l’Adonis blessé est peut-être aussi beau que celui des Charités ou de l’Ilissus ; l’art en est plus incertain, et comme déjà transposé. La vraie signification moderne qu’il apportait, la grande traduction en art du geste biblique, est seulement aux voûtes de la Sixtine, enfin déterminé et visible en ce métier de la « fresque » où il faut encore entailler dans le mur la surface précise qui doit chaque jour être remplie du ciment coloré. Ainsi le sculpteur insensiblement devenait peintre, parce que logiquement arrivaient à la peinture le sens complet des nécessaires expressions et la suprématie du jour, qui échappaient à la sculpture, désormais impuissante à rendre la complexité des nouvelles sensations. Et, au jour où nous sommes, on peut hardiment poser la question : aux monumens nouveaux, dans l’Europe, telle qu’elle est actuellement constituée au point de vue ethnique, politique et social, — et dès à présent on ne saurait, dans nulle étude sur les idées, négliger cette Amérique nouvelle, pays neuf et race commençante, race commerçante surtout, sans passé, mais d’un immense avenir, encore qu’on ne puisse guère prévoir à quel moment s’y pourrait placer la période artistique qui illustra les vieilles civilisations, — aux monumens nouveaux, faut-il des statues, et lesquelles ? Si l’on ne peut prouver qu’elles sont nécessaires, et si l’on dit qu’elles y sont seulement de luxe ou de plaisir, je réponds que la sculpture y est morte ou en mourra. Les preuves ne sont que trop nombreuses et certaines d’une pareille affirmation, si l’on récapitule toutes les raisons de désir, de besoin et de joie, — c’est-à-dire de vérité profonde, — qui peuplèrent de statues les forums antiques, ou les chrétiennes cathédrales, et si l’on songe pourquoi elles plurent et devaient plaire au peuple, j’entends à cette âme des foules confusément éparse et murmurante sous les pas des prêtres en la lointaine Égypte ou en notre moyen âge, plus affinée et curieuse sous la main des grands à Rome ou à la Renaissance, plus libre enfin et plus humaine et haute, et comme « visible, » en cette unique Athènes. Qu’on pèse, après cela, toutes les raisons d’indifférence, de sottise ou de lassitude de nos races tout occupées