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une petite plage de sable où la mer vient lentement mourir. Dans les éboulis des roches pousse un peu de verdure, et un palmier, venu on ne sait d’où, s’incline gracieusement sur les flots. Là s’élève une grande croix de pierre, toute blanche sur le sombre décor. En approchant davantage, on en découvre beaucoup d’autres, petites croix de bois plantées en désordre dans l’herbe et dans la mousse. Elles marquent les restes de marins français tués en baie d’Along, il y a quinze ans. Ce cimetière rustique et sublime est convenablement entretenu. L’escadre y vient tous les hivers. Les tombes sont en bon état, et une couronne de fleurs fanées pend encore, souvenir pieux, à un bras de la grande croix. Pauvres marins inconnus, pauvres petits matelots de France, morts sur cette terre sauvage, loin de tout, loin des leurs, au bout du monde, ils dorment leur dernier sommeil dans un site admirable dont aucun monument funéraire n’égalera jamais la splendeur. Et il semble que leur âme naïve doit goûter quelque chose de ce grand calme, de cette paix souveraine, que vient seul troubler, de loin en loin, l’écho atténué des tempêtes ou le cri d’un oiseau des mers.


Haïphong, le grand port du Tonkin, n’est qu’à quelques heures de la baie d’Along. Actuellement, les navires d’un fort tonnage ne peuvent y arriver qu’à certaines marées. Mais on a commencé des travaux importans qui permettront, d’ici peu, aux plus grands vaisseaux de pénétrer en tout temps dans la rivière. La ville, élevée en douze ans sur l’emplacement de marais et de fondrières qu’il a fallu combler, a un grand cachet d’élégance et de propreté. Les rues, sillonnées de fils téléphoniques, éclairées à l’électricité, sont larges et aérées. Les maisons sont construites au milieu de jardins qu’entourent des haies d’hibiscus aux larges fleurs rouges. Les fleurs d’Europe y poussent également. Des jasmins pendent aux fenêtres et des corbeilles de roses parsèment les gazons verts.

Les habitans n’ont point l’aspect maladif, le teint jaune et l’air déprimé que donne le ciel de Cochinchine. L’hiver, assez froid pour obliger à faire du feu, suffit à rétablir le foie, l’estomac et les nerfs. Et, si les chaleurs de l’été sont pénibles, l’automne est délicieux. Je suis, du reste, heureux de profiter de l’occasion pour contribuer à détruire une légende accréditée en France, sur le climat de l’Indo-Chine. Comme, chez nous, la