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qu’il y ait d’autre exemple de plus profondes divergences d’état social sur un espace aussi restreint[1]. »

Ces peuplades n’ont aucune notion de la séparation des pouvoirs et n’admettent pas, par exemple, que le chef, civil ou militaire, ne soit pas en même temps celui qui rend la justice. Les genres de peines qu’on peut leur infliger, en punition des fautes ou des crimes commis, ne peuvent être les mêmes que celles appliquées dans la métropole, par l’excellente raison que ce que nous appelons le point d’honneur, l’amour-propre, l’honnêteté, n’existe pas chez eux, ou plutôt n’a aucun rapport avec la façon dont nous le comprenons. Ainsi, le plus grand titre de gloire qu’un jeune homme puisse invoquer quand il courtise une jeune fille dont il veut faire sa femme, c’est de pouvoir lui prouver qu’il a volé une quantité considérable de bœufs à une tribu voisine.

Ces tribus n’obéissent, à proprement parler, à aucune religion, et n’ont d’autre culte que celui des morts. Elles croient aux sorciers, aux jeteurs de sorts. Quelque modeste que soit la situation de fortune d’une famille, elle n’hésite jamais à se saigner aux quatre veines afin d’acheter les lamba de soie pour envelopper ses morts, et les funérailles des chefs des tribus donnent lieu à des abatages de bœufs dont le nombre est en raison directe de la puissance et de la popularité du défunt. Les cornes des bœufs abattus sont disposées sur le tombeau et lui servent d’ornemens. N’ayant pas de religion, ils n’ont pas de prêtres. Les Tanala seuls ont des reliques, qui sont renfermées dans des sortes de coffres dissimulés dans les coins les plus solitaires et les plus inaccessibles de la forêt, reliques à la surveillance desquelles sont préposes des gardiens. Les Tanala se réunissent en grand kabary autour de ces reliques et s’y livrent à d’interminables palabres.

Quant aux Hova et aux Betsiléo que les missions ont convertis à la religion chrétienne, protestante ou catholique, ils ont accompli cet acte par simple esprit politique et, sauf de très rares exceptions, ils n’ont aucune foi. Les partisans de l’influence anglaise avaient embrassé la religion protestante ; ceux de l’influence française, la religion catholique. Dans certaines familles extra-prudentes, la moitié des enfans étaient catholiques et

  1. Colonel Lyautey, Dans le Sud de Madagascar, p. 379.