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capitaux de l’histoire coloniale des dix dernières années. Déjà, il y a quelque cinquante ans, le maréchal Bugeaud, aux prises avec une situation analogue à celle où se trouvait Madagascar en 1896, quoique plus grave, avait cherché le moyen de conserver et de mettre immédiatement en valeur le terrain que nous conquérions sur les Arabes, et songé à employer ses soldats à cette tâche, en attendant l’arrivée de colons civils. Il avait créé des fermes et des villages militaires, composés d’une population de soldats-laboureurs, qui restaient enrégimentés et travaillaient au son du clairon et du tambour, prêts à reprendre le fusil au premier signal. Il avait résumé son système dans une formule heureuse, que l’histoire ne sépare plus de son nom : Ense et aratro. Cette formule, on peut l’appliquer à la méthode coloniale du général Gallieni, bien qu’elle présente avec celle du maréchal Bugeaud des différences capitales. Le trait fondamental de son système consiste dans l’emploi de l’armée aux différentes besognes que nécessite un territoire, sans s’occuper de savoir si cette besogne est d’ordre civil ou d’ordre militaire. L’armée conquiert, occupe, pacifie et colonise. Les mauvais résultats de la conquête par « colonnes » apparurent dans la lutte que nos troupes durent soutenir au Tonkin contre les Pavillons noirs. « Dans la chasse à courre que représente la poursuite d’une bande déterminée, écrivait en 1895 le général Duchemin au gouverneur général de l’Indo-Chine, M. Rousseau, tous les avantages restent du côté de l’adversaire avec une évidence telle qu’il est superflu de la détailler ici ; et un résultat toujours partiel ne s’obtient qu’au prix de fatigues, de pertes, de dépenses qui ne sont certes pas compensées par le succès. » Ces raisons déterminèrent le général Duchemin et le gouverneur Rousseau à jeter les bases d’une méthode nouvelle, qui est celle que le général Gallieni appliqua au Tonkin d’abord, à Madagascar ensuite, sur une plus grande échelle, et en la perfectionnant : « Au lieu de s’acharner à poursuivre le pirate ou l’insurgé, s’efforcer de lui rendre le terrain réfractaire, de lui en interdire l’accès ; couvrir le pays d’un réseau serré de secteurs, à chacun desquels correspondent des unités militaires réparties en postes constituant autant de noyaux de réorganisation locale sous la direction d’un personnel essentiellement dévoué et intègre, et formant ainsi une population provisoire, à l’abri de laquelle se reconstituent la population réelle et la remise un exploitation du