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sol[1]. » Les documens émanés du général Gallieni ont popularisé ces mots de secteur, de cercle et de territoire. Ils représentent une hiérarchie de subdivisions territoriales, à la fois militaires et administratives, dont les chefs ou commandans sont uniformément des officiers, lieutenans ou capitaines, pour le secteur ; chefs de bataillon pour le cercle, colonels pour le territoire, entre les mains de qui sont réunies les attributions militaires et les attributions civiles. Le caractère essentiel de ce système, c’est de précéder et non pas de suivre l’occupation du pays. « Tous les élémens de l’occupation définitive et de l’organisation sont assurés d’avance ; chaque chef d’unité, chaque soldat sait que le pays qui va lui échoir sera celui où il restera, et chefs et troupes sont formés en conséquence, et ainsi l’occupation successive dépose les unités sur le sol comme des couches sédimentaires. C’est bien une organisation qui marche[2]. »

C’est sur cette répartition préalable des rôles, sur cette organisation progressive que le général Gallieni compte le plus pour donner à la conquête et à l’occupation un caractère tout différent de celui qu’elles ont eu jusqu’alors. Si l’expédition est dirigée par un chef désigné pour être le premier administrateur du pays ; si la troupe qui marche sous ses ordres sait qu’elle doit y séjourner, le coloniser ; si chacun de ceux qui conquièrent est directement intéressé à préserver, l’occupation militaire perd son caractère de destruction et d’extermination et prend un caractère, sinon pacifique, beaucoup moins violent du moins. Pas d’incendies de villages, pas de pillages, pas de massacres, pas de razzias ; mais une modération exempte de faiblesse, qui préserve de la ruine pays et habitans ; « peu d’actions brillantes, peu de grands coups d’éclat, mais beaucoup de petits actes consciencieux[3]. » Par suite se modifient aussi les qualités exigées des officiers qui dirigent cette occupation ; de telles conditions supposent chez eux, outre le courage militaire, qui est indispensable, ce qu’on a coutume d’appeler le courage civique, et par surcroit un sens pratique aiguisé. Le modèle qui leur est offert, c’est le colonel qui, guerroyant contre les Pavillons noirs, « se préoccupait bien moins de l’enlèvement du repaire que du marché qu’il y établirait le lendemain. » L’acte de courage, d’après ces

  1. Gouverneur Rousseau.
  2. Colonel Lyautey.
  3. Ernest Lavisse, Une méthode coloniale. L’armée et la colonisation.