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déposant sur tout ce qu’elles touchent la fleur du soufre cristallisé. En certains endroits, la température est telle que le sol semble avoir fondu en laissant des places noires et tourmentées comme des pustules. Nous errons dans ce chaos, au milieu des senteurs asphyxiantes qui nous prennent à la gorge. Mais nous n’y restons pas longtemps. C’est une vraie image de l’enfer. Retournons au plus vite sur nos pas ; retournons dans la forêt délicieuse où poussent des fougères et des fleurs. Elle nous donnera l’impression consolante du Paradis retrouvé.

La route de Garoet à Maos est plus pittoresque encore que celle de Buitenzorg à Garoet. On continue d’abord à cheminer dans les montagnes. De la ligne, très élevée en cet endroit, on découvre une immense étendue de plaines cultivées où des petits villages sont perdus, comme enfouis, sous un dôme de palmiers, de bananiers et de bambous. Puis ce sont encore des ravins profonds où roulent des torrens, avec de grands arbres penchés au-dessus et un enchevêtrement inextricable de fleurs et de lianes. Sur le tard, la voie redescend au niveau de la mer.

Alors, pendant les deux dernières heures avant d’atteindre Maos, le train court dans une plaine déserte, couverte de forêts et de marécages. Des flaques d’eau sombres paraissent entre des joncs démesurés. Des bouffées de miasmes empestés montent du sol, pénètrent dans les wagons avec des moustiques et mille insectes divers. La nuit vient peu à peu ; des lucioles volent à travers les branches ou au ras des marais. Les arbres, les feuilles, les eaux, prennent des aspects effrayans, et le grand clair de lune des tropiques illumine cette contrée sinistre, produit des ombres monstrueuses, fait étinceler les étangs et les flaques bourbeuses où les rhinocéros vont se vautrer sans doute et où le tigre vient boire quand il a dévoré sa proie. C’est une région qu’il faut traverser à la hâte et regarder par les fenêtres d’un train express, car elle est mortelle pour les indigènes mêmes, tant sont violens les miasmes qui s’en dégagent, tant y règnent en souveraines la dysenterie et la malaria.

8 août. — Nous voici sur le territoire du Sultan de Djocja. Les montagnes apparaissent seulement au loin, profilant dans le ciel leur dentelure bleuâtre. Nous traversons des plaines où alternent et se succèdent les différentes cultures du pays, riz, canne à sucre, indigo, tabac. La contrée est toujours aussi peuplée. D’interminables villages défilent devant nous, abrités sous