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tous les jours. Ils ont raison, puisqu’ils veulent la guerre religieuse. Mais, nous qui voudrions l’apaisement, et qui désirons dès lors que la politique de Léon XIII soit maintenue sans défaillance, nous éprouvons les appréhensions les plus pénibles en songeant à l’avenir que nous réserve peut-être un présent aussi agité.

Léon XIII laissera un grand souvenir dans l’histoire. Ce qu’on ne peut pas contester et ce que reconnaissent les plus violens adversaires de l’Église, c’est qu’il a eu une rare intelligence politique. Peu d’hommes, même si on se place seulement au point de vue temporel, ont eu plus de prestige aux yeux de leurs contemporains. Sa puissance était toute morale, mais elle était immense. Ses paroles avaient un retentissement prolongé à travers le monde. Ses actes attiraient toujours l’attention et provoquaient souvent l’admiration. Qu’était-il pourtant ? Un simple prêtre, héritier d’une tradition séculaire et vénérable, mais sans le moindre pouvoir matériel, d’apparences frêles, dénué de tous autres moyens d’action que ceux qu’il avait en lui-même. Cela lui a suffi pour remuer le monde. La flamme intérieure qui brillait dans ses yeux révélait un esprit toujours en éveil et une âme ardente. Son autorité personnelle était sans égale : nul n’a mieux mérité la qualification de souverain pontife. Il a été certainement la figure la plus intéressante et à quelques égards la plus originale de son temps. Sans manquer de respect aux chefs d’État les plus puissans ou les plus illustres, on peut dire qu’il n’en est aucun aujourd’hui qui occupe dans l’esprit des hommes une place comparable à celle que Léon XIII y occupait hier encore. L’homme était pour beaucoup dans l’influence qu’il exerçait, mais l’institution qu’il représentait y avait aussi une grande part ; et c’est là une réponse à ceux qui annoncent avec tant d’assurance la ruine prochaine du catholicisme et la décadence de la papauté.


FRANCIS CHARMES