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ami du cœur, la chère Majesté, le roi Frédéric-Guillaume, et la belle reine de Prusse, l’héroïne de la croisade. Czartoryski pensait d’abord et surtout à la Pologne. Il préférait la contrainte, qui permettrait, sous le prétexte de connivences de la Prusse avec Napoléon, d’envahir les provinces polonaises réunies en 1793 et on 1795, d’arracher Varsovie à ces Prussiens plus exécrables aux Polonais que les Russes mêmes, pour le traité fallacieux de 1790 et l’illustre félonie de 1793, et de restaurer le royaume des Jagellons : Alexandre donnerait, en sa personne, un roi à la Pologne et laisserait espérer aux Polonais des institutions nationales, la réparation de la grande iniquité des partages. Depuis près d’une année, Czartoryski dénonçait la duplicité prussienne, les armemens prussiens, les machinations suspectes avec les Français ; il poussait aux réclamations, aux menaces, aux mises en demeure. Cependant Alexandre, méfiant des ministres de Berlin, mais confiant en « son frère et ami, » désireux de l’associer à sa gloire, travaillait directement, par ses lettres intimes, à nouer une alliance que son ministre, par les négociations officielles, travaillait à empêcher. Ce n’est pas qu’Alexandre se désintéresse de la Pologne, mais, au lieu de forcer les Prussiens à évacuer leurs provinces de l’Est, la ligne de la Vistule, il les recevrait de leurs mains, les occuperait en allié, les garderait en ami, et, le jour de la paix, il en compenserait la cession aux dépens de la France, sur la rive gauche du Rhin.

« Sire, écrit Frédéric-Guillaume à Alexandre, il n’y a pas une arrière-pensée pour vous dans ma politique… Mes engagemens sont formels, je suis incapable d’y manquer[1]. » Toutefois il s’alarme de l’approche des troupes russes, de ces rumeurs singulières au sujet de la Pologne. La Prusse ne songe point à perdre, elle songe à gagner. Neutralité, déclare le roi ; lucrative, ajoutent les ministres. Ils prendraient volontiers le Hanovre en dépôt, ce qui serait un moyen d’expulser les Français de l’Allemagne du Nord, et ils troqueraient volontiers contre cet électorat leurs possessions dispersées de Westphalie. Le roi de Suède s’est engagé à livrer Stralsund et Rügen aux Anglais. Le roi de Prusse occupe la Poméranie suédoise, c’est une façon d’assurer la neutralité de l’Allemagne du Nord, et aussi de s’y nantir. « Il fallait agir en grande puissance, déclare Frédéric-Guillaume au

  1. Lettres des 4-27 janvier, 16 mars, 12 avril 1805, Bailleu.