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tsar. Occuper la Poméranie, c’était la défendre. » Et Hardenberg à Lucchesini, pour qu’il le répète à Talleyrand : « Jetons les yeux sur la carte, la Prusse ne peut pas s’arrêter là où elle est sans compromettre son existence. Plus de concentration, une autre frontière qui écarte toute collision avec la France, dont nous voulons faire notre amie :… voilà à quoi nous devons tendre, si nous ne voulons reculer rapidement. »

Alexandre, afin d’éprouver le zèle de son ami et aussi de l’engager dans l’engrenage, le charge d’une démarche pacifique à Paris : « Informer Bonaparte que, s’il transmet des passeports nécessaires à cet effet, une personne qui jouit de ma confiance particulière sera envoyée à Paris pour lui offrir la paix, mais directement à lui-même, sans intermédiaire[1]. » C’est Novossiltsof qui présentera les conditions ostensibles du traité du 11 avril. Si, comme on s’y attend, Napoléon refuse, le roi de Prusse se trouvera, bon gré mal gré, compromis dans l’affaire et rejeté, par ce refus de Napoléon, du côté de la Russie. Et le voilà réduit, pour « agir en grande puissance, » à remplir l’office de parlementaire aux avant-postes. Tandis qu’il s’occupe d’amorcer cette négociation fallacieuse, 80 000 Russes s’approchent de ses frontières, prêts à défendre ses provinces polonaises, comme il défend la Poméranie suédoise, à le protéger ou à le démembrer, amis ou ennemis, selon l’occurrence, en tout cas, résolus à exiger le passage et à passer quand même.


IV

Napoléon connaissait le jeu des Prussiens ; il ne s’y abusait pas, mais il avait trop d’intérêt à s’assurer leur neutralité pour ne point chercher à les gagner et à les lier. Il le tenta jusqu’à la dernière heure. Convaincu de l’astuce des Autrichiens, il perçait leur politique ; il ne se laissa ni « endormir » par leurs protestations ni surprendre à leurs insinuations d’entente. Elles revenaient toutes, d’ailleurs, à se faire attribuer un lot de l’Italie. Si Napoléon le leur concédait, ils le prendraient, sans doute, mais ils passeraient aussitôt aux alliés, afin de régulariser la cession et d’enlever le reste ; puis, ils tourneraient contre la France les forces qu’elle aurait eu l’imprudence de leur procurer. L’intérêt

  1. Alexandre à Frédéric-Guillaume, 11 avril 1805.