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bonne foi, que tout se ramène à la sensation. Faute de se hausser aux régions de l’humanité supérieure, ils se sont rangés à nier ce qui les dépassait. C’est le malheur, en littérature, que ceux mêmes qui ne se laissent pas emporter par la force de certains courans, en sont tout de même ébranlés. Ils y cèdent en partie, quitte ensuite à se reprendre. C’est ce qui est arrivé à Ferdinand Fabre. Lui aussi, il a été influencé par le naturalisme ; il en a, — dans quelque mesure, — appliqué l’esthétique aux sujets qui lui étaient ordinaires. Ç’a été une espèce de crise. C’est son honneur que d’avoir su y échapper. Nul doute qu’il n’ait été averti et mis en garde par la nature même de certaines admirations qui venaient à lui, et dans lesquelles les raisons de littérature n’entraient pour rien. Il ne pouvait lui convenir qu’on le promût à la dignité d’une espèce de Homais du roman anticlérical. Aussi bien l’âpreté n’était pas plus la marque de son talent que les passions haineuses n’étaient compatibles avec son caractère. Il s’empressa de revenir aux genres qui lui avaient valu des succès de meilleur aloi, et ses derniers romans ne contiennent que des peintures souvent charmantes de la vie des humbles et des mœurs champêtres.

Nous pouvons maintenant considérer l’œuvre d’ensemble. Quelle impression nous produisent, lorsque nous les relisons aujourd’hui, les meilleurs de ces romans, dont quelques-uns ont plus de trente années de date et pour lesquels commence donc le jugement de la postérité ? Il faut avouer que la lecture n’en va pas sans quelque fatigue. La faute n’en est-elle pas, pour une part, au procédé même du peintre, pris dans ce qu’il a d’essentiel ? En bon réaliste, Ferdinand Fabre opère par petites touches, accumule les détails. Ce serait donc faire le procès au réalisme lui-même. Toutefois, que de longueurs inutiles ! Que de surcharges où la ligne se noie ! Que de broussailles qui gênent la perspective ! Ce sentiment de la mesure, auquel se reconnaît en art la maîtrise, Ferdinand Fabre déplorait qu’il lui eût été refusé. Relisez Monsieur Jean ; quelle exquise nouvelle ! Pourquoi faut-il que l’auteur l’ait allongée en un roman de trois cents pages ? D’autre part, Ferdinand Fabre ne possède pas à un degré assez éminent le don du style : sa phrase est lourde, comme ses développemens sont compacts. L’expression y est souvent juste, mais sans imprévu, sans éclat, sans aucun de ces mots qui peignent. C’est un style triste. On a fait un recueil de morceaux choisis de ses œuvres ; et ce serait pour nous surprendre ; mais d’ailleurs de quelle œuvre aujourd’hui ne trouve-t-on pas le moyen d’extraire des « pages choisies ? »

Toutefois, si l’écorce est un peu rude, il vaut la peine de la briser.