toutes les passions de la nature humaine continuant de faire battre le cœur sous la soutane comme sous l’habit. Entre tous, ceux dont nous emportons le long et fidèle souvenir, ce sont ces deux adorables saints : l’abbé Courbezon, l’abbé Célestin. Le premier a toutes les vertus et une manie, celle de bâtir ; mais cette manie, aussi dangereuse qu’elle est incorrigible, après avoir fait la ruine du pauvre homme et celle de tous les siens, fait aussi bien le tourment et presque le scandale de sa carrière. L’autre finira par devenir victime de sa naïveté, parce que, si l’on doit se tenir à l’écart du mal, encore n’est-il pas permis d’ignorer qu’il existe. Ce qui donne toute leur valeur à ces deux portraits, c’est que l’écrivain a su y éviter toute fadeur, et que, pas un instant, on ne songe à l’accuser de les avoir poussés à la sensiblerie conventionnelle. A vrai dire, Ferdinand Fabre a moins bien réussi dans les peintures qui lui ont sans doute coûté le plus d’effort, celles de l’ambitieux et de l’orgueilleux. L’abbé Capdepont n’est qu’un tempérament et Bernard Jourfier est une énigme. C’est qu’ici il fallait démêler une psychologie plus compliquée, et il est sans doute moins malaisé de pénétrer l’âme d’un desservant de campagne que d’imaginer les révoltes et les angoisses d’un Lamennais. Restait enfin à nous faire comprendre ce qu’il y a de plus délicat ou de plus fort dans le sentiment chrétien, tel qu’il a soulevé de grandes âmes. Ferdinand Fabre ne l’a pas même essayé. C’est donc qu’il a su peindre le décor de la vie religieuse, plutôt que la vie religieuse elle-même ; et nous présenter les figurans ou les comparses, non l’élite des croyans. Peut-être, après tout, cette étude dépasse-t-elle la portée du roman, et il faut savoir gré à Ferdinand Fabre de n’avoir pas dans ses ambitions littéraires excédé la mesure de ses moyens. La profondeur d’analyse lui a fait défaut, comme la puissance d’évocation ; il a su peindre les âmes simples mieux que les esprits hautains, et les destinées à ras de terre mieux que les fortunes plus relevées ; mais sa part reste encore assez belle, puisqu’il a réussi à nous donner l’image aussi ressemblante que possible des milieux qu’il a traversés et des existences moyennes qu’il a vues se dérouler dans une alternative d’épreuves et de joies, parmi les choses de la nature et à l’ombre protectrice de l’autel.
RENE DOUMIC.