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200 000 hommes ; rien n’est beau comme mon armée ici. » Puis, une nouvelle instruction à Talleyrand, celle-là embrassant l’ensemble de la politique : « Mon parti est pris ; je veux attaquer l’Autriche et être à Vienne, avant le mois de novembre prochain, pour faire face aux Russes. » Toutefois, il préférerait que l’Autriche désarmât ; Talleyrand doit graduer les réclamations : « Vous savez qu’il est assez dans mes principes de suivre, la marche que tiennent les poètes pour arriver au développement d’une action dramatique, car ce qui est brusque ne porte pas à vrai. » Que l’Autriche désarme, retire ses troupes en Bohême et en Hongrie, nous laisse « faire tranquillement la guerre avec l’Angleterre, » sinon : « elle aura la guerre dans un mois. L’Empereur n’est pas assez insensé pour donner le temps aux Russes d’arriver... Si votre maître veut la guerre, dira Talleyrand à Philippe Cobenzl, il ne fera pas les fêtes de Noël dans Vienne. » Il exige une réponse en quinze jours ; sinon, il lève les camps ! Talleyrand, du même coup, mettra la Bavière en demeure : « Je ne souffrirai pas qu’elle reste neutre. » De même le Wurtemberg, de même Bade. Il déclare, d’ailleurs, qu’il ne gardera rien au delà du Rhin. Que toute l’Allemagne soit avertie, « afin que l’inquiétude générale du danger saisisse ce squelette de François II, que le mérite de ses ancêtres a placé sur le trône. »

Traiter avec la Bavière sera facile. L’Électeur convoite la couronne royale ; il a tout à gagner avec Napoléon, tout à perdre en se prononçant contre lui. Le Wurtemberg suivra, et par les mêmes passages. Veut-on « l’obliger à détrôner le roi de Naples ? » Il y songe, mais il n’y viendra que par contre-coup. Il ordonne qu’Alquier se retire, si les arméniens continuent : le procès est ouvert[1].

Cependant, il se reprend à espérer. « Villeneuve est un pauvre homme qui voit double, et qui a plus de perception que de caractère. » Nelson n’a que douze vaisseaux. Si Villeneuve possédait un peu de l’intrépidité de Nelson ! Il essaie de le galvaniser : « Pour ce grand objet, nous pourrions tous mourir sans regretter la vie[2]. » Le 22 août, arrive une dépêche de l’amiral, datée du 10 : il a renoncé à forcer l’entrée du Ferrol. Napoléon le croit à Brest. Il l’appelle, il appelle Ganteaume : avec leurs cinquante

vaisseaux de ligne, il aura la supériorité : « Partez, ne perdez

  1. A Talleyrand, 26 juillet, I, 16 août ; à Eugène, 19 août 1805.
  2. A Decrès, à Villeneuve, 13 août 1805.