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pas un moment, entrez dans la Manche. L’Angleterre est à nous ! Nous sommes tout prêts, tout est embarqué. Paraissez vingt-quatre heures, et tout est terminé[1]. » Mais une dépêche, envoyée par le télégraphe, annonce que Villeneuve s’est réfugié, le 21, à Cadix. Napoléon écrit, en hâte, à Decrès : « Je vous prie de m’envoyer, dans la journée de demain, un mémoire sur cette question : dans la situation des choses, si Villeneuve reste à Cadix, que faut-il faire ? Elevez-vous à la hauteur des circonstances... Pour moi, je n’ai qu’un besoin, c’est celui de réussir[2]. »

Le même jour, 22 août, un courrier de Talleyrand lui apporte des nouvelles de Berlin. On a tout offert à la Prusse : « le Hanovre, tel autre avantage, arrondissement, prérogative ou influence en Empire que le roi pourrait trouver à sa convenance. » Le roi écoute, prend conseil et revient à sa manie, la neutralité, qui lui procurerait des bénéfices de toutes mains, sans le compromettre avec personne. Pressé entre ces deux géans, la France et la Russie, il cherche un défilé par où échapper à l’étreinte. S’il passe à la Russie, c’est la possession des Pays-Bas, d’une partie de la rive gauche du Rhin ; mais Napoléon peut l’anéantir ! S’il passe à la France, c’est le Hanovre, mais c’est la guerre avec l’Angleterre et avec la Russie qui s’apprête à l’envahir et à lui prendre Varsovie ! il est prêt, répond-il, à négocier pour le Hanovre ; mais il demande des explications au sujet de l’Italie, de la Hollande, de la Suisse ; et il se flatte de transformer ainsi l’alliance, qu’il redoute, en une médiation pacifique et lucrative, qu’il souhaite.

Napoléon était un homme qu’il fallait prendre au mot : porté à donner, et largement même, quand il attendait beaucoup en retour, mais se repentant aussitôt, désirant reprendre ses promesses ou, pour les accomplir, exigeant davantage. « En donnant le Hanovre à la Prusse, écrit-il à Talleyrand, le 22 août, je lui donne un bien qui, sans exagération, augmente ses forces de 40 000 hommes et améliore la situation de ses États, de la même manière que Gênes améliore le Piémont... Je lui garantirai l’intégrité de ses États ; mais j’entends aussi que la Prusse me garantira l’intégrité de mes États actuels, sans que je veuille m’engager avec elle pour la Suisse, la Hollande ou les États de Naples.

Le roi de Prusse me garantira, à moi et à mes descendans, mon

  1. A Ganteaume, à Villeneuve, 22 août 1805.
  2. A Decrès, 22 août 1805.