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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/133

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mais avec grand soin, un recueil formidable. Ainsi documentés et ainsi armés, ce n’est pas seulement à Paris, ou dans les grandes villes, que les confrères pourront agir. C’est à peine s’il sera besoin désormais d’« inspirer » (1638), — ce qui est toujours délicat, — « aux magistrats (l’idée] de réprimer avec soin les entreprises des hérétiques ; » il deviendra presque superflu « d’agir sur les personnes d’autorité » (1645). Il suffira, n’importe où il y a un tribunal, du premier « demandeur » venu, ou dénonciateur, pour, au nom et en vertu de tel article, de tel édit ou de tel arrêt du Conseil, mettre en mouvement l’action publique. Et, dès lors, contre les « entreprises » des hérétiques, c’est-à-dire contre les exercices, contre les prêches, contre les temples, contre les réunions des consistoires, on voit s’évertuer à l’envi, multipliant les plaintes de « contravention, » presque toutes les Compagnies du royaume : Poitiers, Grenoble, Montpellier, Metz, Rouen, Caen, Bordeaux, Blois, Arles, Limoges. C’est, sur tous les points du territoire, la même besogne, pareillement menée : la guerre sainte sur le terrain judiciaire.

Mais ce n’est pas tout encore. Il n’y avait pas toujours unanimité, je l’ai dit, au sujet des protestans, entre les Parlemens et le Conseil du Roi, entre les gouverneurs et les intendans, entre les évêques et les ministres ; et, surtout, les mesures décidées pour tel ou tel endroit n’étaient pas valables et obligatoires partout. De ces inégalités de traitement des protestans, la Compagnie souffrait[1]. Ce qui valait le mieux, c’était un bon édit ou règlement du Roi, faisant loi de l’État et loi universelle. Mais comment obtenir ces solennelles démarches, sous Richelieu, si suspect, sous Mazarin, si tiède, dans le règne décourageant de ces politiques « indévots[2] ? » Force est à la Compagnie du Saint-Sacrement de recourir à ce clergé, auquel elle s’est si souvent et si cavalièrement substituée, mais qui, grâce au « don gratuit, » peut, lui, presser avec efficacité sur la royauté, et obtenir des édits en échange de son or. La Compagnie entre

  1. En 1643, la Compagnie de Metz se plaint à celle de Paris « de la protection trop grande donnée aux hérétiques par les personnes d’autorité. » En 1646, la Compagnie de Bordeaux déplore des jugemens favorables aux hérétiques, rendus par le Parlement. En 1648, celle de Rouen est choquée, je l’ai dit, par la courtoisie du duc et de la duchesse de Longueville. En 1649, celle de Paris constate que « la Cour est obligée de garder des mesures » ; en 1651, elle regrette que des réformés obtiennent à leur profit des lettres de cachet ou des arrêts.
  2. D’Argenson, p. 104.