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chaque village, chaque hameau, presque chaque propriété importante de la banlieue d’Aix, possédait son moulin à huile, soit à eau, soit « à sang, » c’est-à-dire à bras d’homme ; actuellement, ces usines en miniature étant fermées, il ne reste plus que cinq ou six moulins assez achalandés, concentrés dans l’enceinte de l’octroi de la ville.

Nous allons introduire nos lecteurs dans la plus ancienne huilerie d’Aix ; elle aurait fonctionné, s’il faut en croire les vieux titres de propriété, avant l’époque de la reine Jeanne et du roi René, ce qui représente une jolie somme d’activité, même pour un établissement qui travaille un mois de l’année et se ferme les onze autres mois. Il est facile à ceux de nos lecteurs qui résident à Paris de se faire une idée du local : ils n’auront qu’à se rendre au Louvre pour rechercher un tableautin du grand peintre provençal Granet, portant, si nous ne faisons erreur, le numéro 257 du catalogue et montrant des captifs rachetés à Alger. Leur cachot a été copié sur le modèle du moulin souto terro (comme tout le peuple de la ville l’appelle), que l’artiste, en sa qualité d’Aixois, connaissait parfaitement.

De fait, notre moulin ne manque pas de pittoresque : la lumière du soleil qui filtre à travers le soupirail et la pâle clarté de quelques rares becs de gaz, substitués aux lampes antiques ou caleù, produisent de splendides effets de clair-obscur. Jour et nuit le moulin marche, du 25 novembre au 1er janvier. D’heure en heure les ouvriers se relaient ; une table est constamment dressée pour leur réfection, et ils dorment à tour de rôle sur un lit primitif qu’on aperçoit dans un coin du souterrain et qui se compose d’une botte de paille et de quelques couvertures. Sans être étouffant, le réduit est assez chaud, au grand avantage de la réussite de la besogne, et l’odeur d’huile fraîche qui le parfume n’a rien de désagréable. Un mulet, les yeux bandés, tourne les meules accouplées qui réduisent les olives en pâte. Cette pâte est chargée dans des « scourtins », sorte de paniers très plats et flexibles ; les scourtins sont empilés sur la presse, jadis en bois, maintenant en fer, dont quatre ouvriers actionnent la barre ; l’huile vierge jaillit sous forme de filet visqueux, jaune verdâtre, un peu trouble, et découle dans une « tinette » ou baquet qu’on vide de temps à autre dans un récipient plus grand, disposé dans un coin de la cave. On décharge ensuite la presse, les grignons sont arrosés avec de l’eau bouillante