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L’industrie huilière de Marseille comporte-t-elle des secrets quant au matériel ou des tours de main mystérieux ? Peut-être bien, car l’accès de quelques-unes de ces vastes usines demeure sévèrement interdit au public. Il y a aussi des exceptions, et tous les curieux sont admis gracieusement à parcourir l’huilerie que nous avons visitée nous-même, au boulevard National, près de la gare des marchandises du P.-L.-M. L’installation comprend plusieurs grands bâtimens ou hangars distincts dont le groupe est même coupé par des voies publiques.

La flotte de commerce apporte de Cochinchine, Zanzibar, Manille, Ceylan, le coprah qui alimente pour la majeure partie l’huilerie en question. Déchargée sur les quais de la Joliette, la marchandise est voiturée jusqu’à l’usine par des entrepreneurs de charroi indépendans de celle-ci. Des sacs du poids de 60 kilos s’empilent très régulièrement à une hauteur assez considérable, — 7 à 8 mètres, — dans les magasins ; ils sont hissés sur le bloc, non par un moteur mécanique, — on a renoncé à ce mode de traction, — mais simplement à dos d’hommes, les porteurs grimpant sur une échelle. Du magasin se dégage une odeur affadissante, et le pied du visiteur foule des débris de coprah jonchant le sol, identiques au contenu des sacs. Plus loin, ce sont des palmistes bruts en sac ; ces palmistes[1], bien que plus gros, ressemblent assez à des noyaux de cerises : l’odeur de rance s’accuse déjà plus sensible.

Elle se manifeste encore davantage à l’intérieur du second bâtiment consacré à l’extraction de l’huile, où la chaleur devient étouffante. Les ouvriers italiens, pieds, jambes et bras nus, vêtus d’une chemise crasseuse et d’un pantalon retroussé, d’aspect innommable, remplissent leur besogne au milieu des poussières qui flottent dans l’atelier, dont les planchers paraissent saupoudrés de sciure de bois et glissent sous les pieds. Pièces de machines, escaliers métalliques, rampes en fer, tout reluit de matières grasses. Le coprah, assez semblable d’aspect à des fragmens d’écorce, est précipité brut dans un entonnoir et broyé grossièrement par des rochets à dents ; remonté au premier étage, il est distribué dans des sacs et trié suivant qualité ; des laminoirs cannelés, disposés au second étage, continuent le

  1. Le noyau du palmiste Elæis Guineensis fournit une huile assez peu différente de l’huile de coprah. De la chair du fruit on extrait un produit relativement concret, qui alimente les savonneries de Marseille.