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Et le colonel, qui le voit pâlir à ce mot de lâche, lui met la main sur la bouche :

— « Ne parlez pas, vous allez m’insulter… »

Le capitaine Simon fond en larmes, et jure de ne plus se battre… Mais, le soir même, il rencontre un passant d’allure singulière, et complètement caché sous son manteau. Une querelle commence. D’autres officiers sont là. La querelle s’envenime, les têtes s’excitent, le capitaine provoque le passant, l’inconnu relève le défi, dégaine brusquement sous son manteau, le duel s’engage, le passant tombe… Alors, on va chercher des lumières, on revient, et on reconnaît le colonel Gontault… Il est blessé à mort, et dit, avant de mourir, à Simon foudroyé : « Tu vois… Je te pardonne ! »

Héroïque, amusant, attendrissant, et qu’il soit d’ailleurs jeune ou vieux, officier ou simple troupier, enfant du peuple ou ancien émigré, tel est ainsi, presque toujours, le soldat dans le roman-feuilleton. Soit dans Eugène Sue, soit dans Alexandre Dumas, soit dans Paul Féval, soit dans Ponson du Terrail, vous rencontrez continuellement, sous un nom ou sous un autre, tantôt des Dagobert, tantôt des capitaine Fantôme, tantôt des capitaine Simon, tantôt des colonel Gontault, tantôt des sergent Morin, tantôt des Aimable-Auguste, et, derrière eux, plus loin encore, dans une histoire plus ancienne, toute une magnifique et exaltante soldatesque, des Bussy d’Amboise, des Lagardère, des Athos, des d’Artagnan, dont les valets mêmes, comme le bon Flanchet et le bon Grimaud, dégagent, eux aussi, à leur modeste rang, de la sympathie et de l’héroïsme. L’ancienne monarchie sort souvent abîmée du feuilleton, mais le soldat, par exception, n’y est pas défiguré. Il a déjà, sous le tricorne, l’originalité de vaillance et l’intrépide gaîté qu’il aura sous le bonnet à poil. La tradition ne s’en dément pas, et, même aujourd’hui, surtout peut-être aujourd’hui, dans les récits de la dernière guerre, il nous apparaît bien sous un jour mélancolique, mais qui exalte encore l’uniforme. Le roman-feuilleton est, en résumé, patriote[1]. Jamais, ou presque jamais, il n’a rien fait pour tuer, dans l’âme populaire, l’enthousiasme qu’inspirent les victoires, le culte du drapeau, l’émotion que peut donner le spectacle d’une revue.

  1. Le Péché de Marthe, par M. Paul Bertnay, et les romans de M. Jules Mary.