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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/217

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IV

Et le « monde, » l’homme et la femme « du monde, » la société aristocratique, « née, » bien née, ou choisie, qui a son cadre ordinaire dans les salons et les châteaux ? Quel homme et quelle femme « du monde, » quelle aristocratie, va nous représenter le feuilleton ? C’est peut-être ici que l’impression sera la plus déconcertante, et que nous allons rencontrer les plus extraordinaires physionomies, les plus destinées à peupler l’esprit populaire des visions les plus baroques.

Bien qu’il en soit toujours resté aux « grandes dames » de la Tour de Nesle, qui étaient d’autant plus « grandes dames » qu’elles commettaient de plus grands crimes, le feuilleton conserve encore quelquefois une certaine retenue à l’égard de la « mondaine. » Assez volontiers, tout en la faisant coupable, il convient qu’elle est belle, et en convient même en soupirant. Mais, avec l’« homme du monde, » il n’a plus aucune espèce de réserve, et vous n’imaginez pas, à moins de l’avoir lu, ce qu’entasse de scélératesses, à tout instant de la journée, un comte ou un marquis de roman-feuilleton. Il ne cesse pas, pour ainsi dire, un seul jour, depuis 1840, d’être le brigand le plus complet, le plus froid, le plus épouvantablement ingénieux, le plus inépuisablement coquin, qui ait jamais exploité les femmes, forcé les coffres-forts et dévalisé les diligences. Est-ce uniquement parce que le roman vit de romanesque, et parce que le dernier mot du romanesque semble être dans l’« homme du monde » qui conduit en culotte courte les cotillons de la duchesse, pour s’en aller, après le bal, mettre une blouse et un foulard rouge, et assassiner, sous ce costume, un vieillard dans sa villa ? Est-ce parce qu’il y a là, dans cet homme de salon montré sous cet aspect révoltant, un certain virus anarchiste, et, sous une certaine forme, un peu de cette dynamite dont on charge les bombes ? Presque tout « homme du monde, » quoi qu’il en soit, dans presque tout roman-feuilleton, est presque toujours, de fondation, un abominable gredin.

Comme le Juif-Errant est la souche de toute une lignée de feuilletons sur le monde religieux, les Mystères de Paris sont celle de toute une descendance de romans populaires sur le « monde » tout court, et la « femme du monde, » dans ce roman-feuilleton souche, n’est même pas plus épargnée que l’« homme