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Laforest « n’épargne point les espions, qu’il envoie des officiers prussiens ou autres, pour observer ; qu’il prodigue l’argent, si cela est nécessaire. » Le 19, il se tint une grande conférence entre Brunswick, Hardenberg, Haugwitz, Mœllendorf, Kalkreuth, Kleist. Ce conseil délibéra d’armer très ostensiblement : neutralité maintenue contre tous, alliance avec personne, médiation in petto, et le Hanovre de toutes mains. Ni Duroc, ni Metternich, tirant chacun de son côté, n’en obtinrent davantage. Le 21 septembre, Frédéric-Guillaume écrivit à Alexandre en termes pathétiques : « Et vous, à qui je tiens par des traités solennels que j’ai remplis, par une amitié qui fait mon bonheur, c’est par vous que mes premiers droits de souverain pourraient être compromis ! » Il refuse le passage, il décline l’alliance, il accepte l’entrevue, « une de ses idées les plus chères » depuis Memel[1]. Au fond, il la subit et ne s’y rend qu’avec anxiété, redoutant le prestige, les séductions d’Alexandre. Il tremble pour sa neutralité, ainsi qu’une prude pour sa vertu, traînée, comme malgré elle, au rendez-vous.

Le courrier s’en allait à la rencontre du tsar, quand, le 23, Alopeus, exécutant ses instructions, annonça que, n’ayant point obtenu le passage à la date indiquée par lui, les Russes entreraient de gré ou de force : 50 000 hommes par Varsovie, marchant sur Breslau ; 47 000 par Grodno, marchant sur la Prusse ; 25 000 en Poméranie, par mer. Ils sont annoncés pour le 28. Hardenberg se trouble. Les adjurations du roi, l’armement de la Prusse, n’ont donc point arrêté Alexandre ! Il prie Alopeus de le venir voir ; il le supplie d’éviter « la plus horrible des catastrophes. » Alopeus répond que les choses militaires échappent à sa compétence, et rompt l’entretien au bout de quelques minutes.

En rentrant chez lui, il trouve un de ses attachés qui arrive de Pétersbourg, avec des ordres datés du 18, et tout est renversé. Alexandre charge Alopeus de déclarer que, « dans l’espoir de voir accepter par le roi le rendez-vous qu’il lui a proposé, il a suspendu l’entrée de ses troupes jusqu’à cette époque, convaincu toutefois que le roi n’hésitera pas à faire cause commune avec lui. » Alopeus court chez Hardenberg, où l’on fait quelque difficulté de l’introduire. C’est que Duroc et Laforest sont attendus

d’un instant à l’autre. Hardenberg reçoit Alopeus dans un petit

  1. C’est à Memel qu’avait eu lieu, en 1802, la première entrevue d’Alexandre avec le roi et la reine de Prusse.