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groupes, serre avec émotion la main d’un vieux garde-chasse[1]. Le vieux garde est accompagné de sa fille, la jolie Marthe, et Marthe assiste au départ de l’officier avec un trouble significatif, car il est son amant, le père de l’enfant dont elle sera bientôt mère, et la vie, pour la fille du garde, si « pâle » et si « délicieusement jolie, » ne sera plus désormais qu’un martyre ininterrompu. Le vieux garde est un brave homme, comme presque tout vieux garde de roman-feuilleton, mais un homme dur. Il devine le « péché » de sa fille, et peu s’en faut qu’il ne la tue. Folle de honte, elle veut se noyer, mais une bonne bûcheronne, comme presque toutes les bûcheronnes de roman-feuilleton, lui sauve heureusement la vie, l’emmène dans sa cabane, et là, dans cette cahute, la pauvre et jolie Marthe met au monde une petite fille. Elle devrait peut-être alors tenter de revoir le vieux garde, mais l’idée seule l’en épouvante, et, dès qu’elle en a la force, elle fait son petit paquet, prend son enfant, et s’enfuit pour Paris, où l’attend une tante indulgente, concierge d’un café-concert. Hélas ! c’est ici que son calvaire va devenir le plus horrible. Le jeune officier est tué à Reischoffen, la concierge du « beuglant » est une abominable mégère, et Marthe, douce et honnête, obligée de se sauver de chez cette parente, est recueillie, dans sa détresse, par un vieux comique d’âme angélique, qui lui offre l’hospitalité d’un père. Malheureusement, le siège sévit avec tous ses fléaux, la faim, le froid, les épidémies, et Marthe, usée en quelques semaines par les angoisses, finit par tomber malade. Elle s’alite, et meurt désespérée. Le personnel du bastringue conduit la pauvre fille au cimetière, et le vieux comique angélique adopte la petite orpheline.

Telle est la note habituelle, presque permanente. Elle est d’une sentimentalité sanglotante. Et dans quelles circonstances morales s’opère ordinairement la séduction ? Dans des circonstances si bien admises d’avance, qu’on ne prend même pas la peine de nous les exposer Pourquoi, et comment la malheureuse Marthe a-t-elle commis son « péché ? » Il semble comme convenu que tout le monde s’entend là-dessus à demi-mot, et que le vieux garde est seul à pouvoir s’en formaliser. Dans le Remords d’un ange[2], une jeune fille habite en face de l’auberge où s’arrête la diligence, et un jeune homme, un jour, se trouve dans la voiture,

  1. Le Péché de Marthe, par M, Paul Bertnay.
  2. Le Remords d’un Ange, par d’Ennery.