Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les cœurs, » et ce forgeron-apôtre est en même temps le plus délicat des êtres, tendre pour sa mère, compatissant pour les infirmes, respectueux envers les riches. Il rapporte même les petits chiens sans vouloir de récompense ! Et tout ce qui est ouvrier, ouvrière ou républicain est à l’avenant, Françoise Baudoin, la femme de Dagobert et la mère d’Agricol ? Une « de ces natures d’une bonté et d’une simplicité adorables… Un de ces martyrs de dévouement ignorés… Ame sainte, naïve ! » La Mayeux, la petite couturière ? Elle est contrefaite et maladive, mais « remplie d’intelligence, » et douée, « sous son corps difforme, » d’une « âme aimante et généreuse, » d’un « esprit cultivé jusqu’à la poésie. » Agricol lui lit ses vers, elle lui lit les siens, et forgeron et couturière font ensemble de la littérature, et de la bonne ! Les vers de la Mayeux sont « simples et touchans comme une plainte sans amertume confiée au cœur d’un ami, » et Agricol est « un esprit peu commun. » Ils ne sont plus seulement de bons ouvriers, mais encore de bons auteurs, et la flatterie, poussée jusqu’à ce degré, dépasse vraiment toute permission. Ce n’est même plus de la flatterie, mais de la flagornerie, et de la flagornerie fétide, qui a comme quelque chose d’impudique. C’est la bassesse délirante du courtisan décidé à se vautrer dans toutes les impostures, et même dans toutes les postures, pour adorer toutes les niaiseries et dévorer tous les dégoûts[1] !


VI

Voilà donc l’Ouvrier méthodiquement flagorné. Et la Fille-Mère ? Elle l’est aussi. De même que tous les ciseleurs, tous les teinturiers, tous les bateliers, tous les peintres en bâtimens et tous les ébénistes sont toujours des héros, dans toutes les circonstances, toutes les filles-mères sont toujours intéressantes… Nous sommes en 1870, au début de la guerre allemande, sur la route d’une petite gare de Lorraine. Des groupes de soldats vont rejoindre leurs régimens, et un jeune officier, parmi les

  1. Il faut lire, dans le chapitre II de la 14e partie, le tableau niaisement dithyrambique de l’usine socialiste de M. Hardy. On se demande à quel point exact entre l’illuminisme et l’imposture peut bien être situé l’esprit de l’homme qui l’a écrit. — On va élever une statue à Eugène Sue.