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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/228

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pied de la guillotine, où, par extraordinaire, à la dernière minute, un ordre de sursis arrive, quand le malheureux a déjà les cheveux coupés. C’est encore et toujours un innocent, et le dernier mot, sur ce genre de juges et de justice, se trouve dans la Grande Iza. Là, un juge d’instruction, un certain Oscar de Verchemont, ne se contente pas d’accuser d’un assassinat le plus honnête et le plus innocent des hommes. Il finit même par épouser la femme qui en est l’auteur véritable ! On s’est beaucoup extasié sur un prétendu mot spirituel de d’Ennery visitant une maison centrale, et demandant au directeur : « Pensez-vous, monsieur le directeur, avoir ici quelques coupables ? » Peut-être était-ce de l’esprit, mais c’était bien de l’esprit de roman-feuilleton.

Maintenant, tout ce qui est savant, artiste, médecin, inventeur, est généralement offert, par contre, comme l’Ouvrier et la Fille-Mère, à notre admiration et à notre attendrissement. Un homme est pauvre, vaillant, ne recule devant aucune privation ni aucun effort, habite une mauvaise chambre, vit de pain et de fromage dans une crémerie, est toujours exploité, toujours volé, mais demeure quand même courageux et bon, et n’en est pas moins prêt à se dévouer, dans ses malheurs, à quiconque lui semble plus malheureux que lui ? Ne cherchez pas à quelle catégorie sociale ce saint-là peut appartenir : c’est nécessairement un chimiste qui a inventé un nouveau procédé pour teindre la laine ! De même, un jeune homme sans position inspire une vive passion à une jeune fille du monde, et l’aime lui-même éperdument, mais sent toute la distance qui le sépare d’elle, et s’arrache, héroïquement, à cette maison où est son cœur ? Ne cherchez pas non plus l’état social et civil de ce héros : il ne peut être qu’un jeune musicien d’avenir, fils naturel d’une femme de chambre ! De même encore, un homme porte sur lui tous les signes du grand homme, mais personne ne parle de lui ? Il vit dans un labeur obstiné, entouré de tous les pièges, de toutes les conspirations, en butte à toutes les iniquités, mais toujours plein de résignation, de sérénité, de vaillance, de modestie, toujours sublime et presque surnaturel ? Un pareil homme ne sera jamais, et ne pourra jamais être qu’un grand peintre ou un grand sculpteur méconnu, auteur ignoré des chefs-d’œuvre que signent frauduleusement des usurpateurs vaniteux ! Quant au médecin, vous le verrez toujours également surgir à tout propos comme