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aggravent l’état général. Et c’est ce qui rend, non seulement en Europe, mais peut-être aussi à Constantinople, — car il faut faire la part de tout, — les bonnes volontés si hésitantes et si peu efficaces.

Nous l’avons déjà dit, et cela reste toujours vrai, la Russie et l’Autriche peuvent sans doute être débordées un jour par le mouvement, mais elles font sincèrement tout ce qui dépend d’elles pour l’enrayer. L’une et l’autre sont occupées ailleurs, et ne veulent pas se laisser déranger de ce qu’elles considèrent comme des intérêts vitaux. Les affaires d’Extrême-Orient absorbent l’attention et une grande partie des ressources des Russes. Leur situation instable, mal assise, incertaine, en Mandchourie impose à leur diplomatie une tâche qui ne leur permet guère d’en aborder en même temps une autre. Il était question, il y a quelques jours encore, de complications possibles : nous n’y avons pas cru, mais encore faut-il au gouvernement de Saint-Pétersbourg une vigilance de tous les instans pour ménager les susceptibilités des autres puissances, et échapper à des froissemens qui pourraient dégénérer en conflits. On parlait des impatiences du Japon, qui, ayant conclu avec l’Angleterre une alliance de cinq années, ne voudrait pas en attendre le terme sans avoir fait quelque chose en Corée. L’Angleterre n’a certainement aucune idée de se prêter à ces ardeurs intempestives de la politique japonaise, si tant est qu’elles existent ; et, comme, à tout prendre, ses engagemens avec le Japon ne l’obligent à lui porter secours que s’il se trouve aux prises avec deux puissances, il semble bien que cette condition ne soit pas près de se réaliser. Mais l’Angleterre elle-même, quel que soit son désir de s’entendre avec la Russie, et bien que lord Cranborne ait déclaré récemment à la tribune que celle-ci ne la trouverait pas intransigeante, se préoccupe à la fois du silence qu’on garde avec elle à Saint-Pétersbourg, et de la prolongation en Mandchourie d’une occupation dont personne n’aperçoit encore le terme. Enfin, il y a les États-Unis, qui prennent depuis quelque temps un très vif intérêt aux affaires de Chine, et où l’opinion, sujette à des soubresauts assez violens, se déchaînait, il y a quelques semaines, contre une situation qu’elle jugeait intolérable. La prudence et l’habileté de la Russie ont dissipé pour le moment tous ces nuages, mais elle ne les a pas dissipés pour toujours, et c’est du côté de l’Extrême-Orient qu’on regarde à Saint-Pétersbourg, beaucoup plus que de celui des Balkans.

Quant à l’empereur François-Joseph, son esprit n’est pas assiégé par des préoccupations de politique extérieure, mais bien de politique intérieure, et, quelque habitué qu’il soit à leur gravité, il