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ne peut guère se méprendre sur ce qu’elle a cette fois d’exceptionnellement inquiétant. Il vient de passer une semaine à Pest, aux prises avec un problème dont il semble avoir constaté le caractère insoluble, puisqu’il s’en est allé sans l’avoir résolu, laissant derrière lui une situation provisoire dont il est difficile de dire si le temps en atténuera ou n’en accroîtra pas plutôt les périls. La mort du pape Léon XIII et l’élection de son successeur nous ont un peu détourné de ces affaires austro-hongroises, si compliquées, si embrouillées, et nous ont empêché d’en parler avec les développemens qu’elles méritent. Nous avions laissé le comte Khuen-Hedervary dans un grand embarras en face des exigences du parti de l’indépendance, qui avait désavoué son chef, M. Kossuth, et qui, obéissant à des influences extrêmes, abordait le programme de ses revendications par le point le plus difficile, le plus délicat, le plus difficilement admissible, à savoir la constitution d’une armée hongroise autonome. M. Kossuth, abandonné par ses soldats au nom desquels il avait cru pouvoir traiter, s’était fièrement retiré sous sa tente, et M. Barrabas parlait au nom du parti, annonçant que l’obstruction recommencerait, si on ne lui donnait pas pleine et entière satisfaction. Tout d’un coup, un incident imprévu a éclaté et a changé l’état de l’échiquier politique et parlementaire. Un membre du parti de l’indépendance est monté à la tribune et y a apporté la preuve matérielle d’une tentative de corruption dont il avait été l’objet, de la part de qui ? Du gouvernement sans doute : n’est-ce pas toujours du gouvernement que viennent les tentatives de corruption ? Il n’en était pourtant rien cette fois, et la correction personnelle du comte Khuen paraît bien avoir été mise hors de doute ; mais sa situation politique, déjà si ébranlée avant l’incident, s’est trouvée irrémédiablement compromise après. Il l’a senti et a donné sa démission, que François-Joseph a acceptée. Le cours nouveau imprimé aux esprits par cette affaire de corruption a ramené la concorde dans le parti de l’indépendance ; M. Kossuth en a repris la direction, et a accepté toutes ses revendications ; ce n’est pas son parti qui s’est réconcilié avec lui, mais lui qui s’est réconcilié avec son parti et qui en partage dorénavant l’intransigeance. Telle est la situation que François-Joseph avait et qu’il a encore à dénouer : rarement tâche plus laborieuse est échue à un souverain constitutionnel. Les faits parlaient suffisamment d’eux-mêmes : néanmoins beaucoup d’orateurs ont parlé aussi, et très éloquemment, mais non pas plus clairement. Il faut signaler, parmi tant de discours, celui du comte Albert Apponyi, président de la