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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/302

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II

Les négociations ont un rôle essentiel dans cette campagne, aussi remarquable par leurs digressions et leurs retardemens, que le sont, par leur précision et leur rapidité, les marches de concentration des armées. Il s’agit de se renseigner sur les intentions de l’ennemi, la nature et le degré de l’entente entre ceux qui sont devant, le Russe et l’Autrichien, et ceux qui approchent sournoisement sur les flancs et en arrière, les Prussiens ; de les inquiéter, de semer le soupçon, de suspendre les volontés, de ralentir les décisions, de diviser, peut-être. C’est une série de diversions politiques, sans lesquelles la grande action de guerre serait impossible, et nécessaires aussi pour qu’elle porte toutes ses conséquences. Elles trahissent un art aussi supérieur, en sa subtilité, que la stratégie, en sa formidable puissance. Tous les ressorts y sont en jeu, toute la connaissance des hommes et des Etats ; les intérêts, les ambitions cachées, l’héroïsme des troupes, leur sentiment national, et les travers, les mesquines passions des individus. Il faut autant de divination pour suivre et envelopper dans ses trames la petite âme de Haugwitz que pour pénétrer les dissentimens des Autrichiens et des Russes, l’impatience d’Alexandre, les hésitations de François, et soutenir le moral de ces milliers de Français « enfournés » à tant de centaines de lieues de leur patrie, tournant le dos à cette Angleterre qu’ils doivent détruire, et défendant, au milieu des Slaves, cette Révolution française si peu menacée, semble-t-il, qu’elle a porté les frontières de la France au Rhin et ses avant-postes au delà de l’Elbe.

Le 17 novembre, de Znaym, Napoléon avait, encore une fois, écrit à François II. Sachant ce souverain à Brünn, il a différé d’y faire entrer son avant-garde. « Mon seul but est de poursuivre l’armée russe et de la porter à évacuer les États de Votre Majesté. » Il conjure François de se séparer de ces Russes qui font le désespoir de ses peuples. « Que les Russes cessent d’avancer de nouvelles troupes, qu’ils évacuent l’Autriche, je m’arrêterai à Brünn ; » sinon « il ne resterait plus qu’à tenter entièrement le sort des événemens et les suites des destinées qui ont donné un cours irrésistible à chaque chose. »

Les alliés, et pour les mêmes motifs, jouaient le même jeu ;