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mais combiné merveilleusement selon les illusions des Français. « Le point capital, écrivait Joseph de Maistre, est de persuader les Français qu’on n’en veut qu’à Bonaparte. Surtout on doit dire : on ne touchera point aux confins de Lunéville. » La déclaration de Potsdam portait, en effet : « Tout ce que l’Autriche a consenti à laisser en propriété à la France par la paix de Lunéville ou par d’autres conventions pourra rester au pouvoir des Français. » Et le manifeste : « Les alliés ne prennent les armes que pour s’opposer aux envahissemens de Bonaparte en Italie, rétablir l’ordre de choses fixé par les traités que Bonaparte a violés. » La France rentrerait dans ses limites naturelles et aurait pour bornes la rive gauche du Rhin, les Alpes, la Méditerranée, les Pyrénées et l’Océan. Elle ne pourrait entretenir un seul soldat au delà du Rhin, ni en Italie, ni en Suisse, ni en Hollande. »

Paris, dans son inquiétude et son mécontentement, faisait alors bon marché de la Suisse, de la Hollande, du Piémont, de l’Italie même. Il lit : les limites naturelles, la rive gauche du Rhin, et il ne se demande point de quelle nature il s’agit, celle de la Diète germanique, ou celle de la Convention ; si l’Escaut, la Meuse, la Moselle rentrent dans cette nature-là[1], ni de quel Rhin l’on parle, celui qui borne l’Alsace ou celui qui embrasse Trêves, Mayence, Cologne, Aix-la-Chapelle, toute la Belgique et une partie de la Hollande, le Rhin de 1648 ou celui de l’an III : il le prend à la française, tout bonnement, imaginant que les alliés, employant sa langue, pensent comme lui, et il l’entend, de Bâle à l’embouchure. Ce sera la continuelle équivoque des alliés, jusqu’en 1814, l’auguste parade à duper les Français ; ruse de guerre d’une simplicité antique, mais d’une efficacité telle qu’après les contemporains, la plupart des historiens s’y sont laissé prendre. Le coup porte en 1805, comme il portera en 1813. « Ces déclarations, » dit un ami de Joseph Bonaparte, très répandu parmi les modérés et les pacifiques, « devaient concilier à la coalition les esprits les plus éclairés, qui ne sentaient nullement la nécessité de faire la guerre pour des projets gigantesques

  1. « Une barrière entre la France et la Hollande... Ces points ne sauraient être pleinement obtenus, tant que les limites de la France ne seront pas bornées « la Moselle et au Rhin, aux Alpes et aux Pyrénées. » Traité du 11 avril 1805. — Bases de pacification. — La cession à la Hollande d’Anvers et du territoire compris derrière une ligne tirée de Maestricht ; sans parler des promesses faites à la Prusse, sur la rive gauche, en Hollande, en Belgique.