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d’agrandissement dont le succès même compromettait dans l’avenir l’existence de la nation. » On se flatte de concilier ainsi les intérêts particuliers, « les affaires, » avec la gloire et l’honneur de la France. On commence à trouver l’empereur compromettant pour l’empire. Son génie a accompli l’ouvrage, son ambition le gâtera. Sa mort ne serait plus, comme au temps de Marengo, une catastrophe de l’Etat, ce serait un deuil, tout au plus. L’ordre renaîtrait, de soi-même, avec toutes ses garanties. Ces politiques envisagent une défaite avec sérénité : l’empereur seul serait battu, la France rentrerait en elle-même, et cette défaite de l’empereur équivaudrait à une des victoires de la République : en reculant, Napoléon assurerait à la France ces limites que Moreau lui a gagnées à Hohenlinden. « Les Français sont persuadés, écrit Lucchesini[1], que les Puissances ne font pas la guerre à leur indépendance et à l’empire français, mais uniquement à la personne de Bonaparte et aux vues ambitieuses de sa famille... »... « Les amis de l’ordre et des idées sages et modérées... ne seraient plus effrayés de l’idée de le perdre et croiraient même trouver le complément des bienfaits de la Providence, si la mort de Napoléon pouvait mettre le prince Joseph à sa place. »

Ajoutez le contre-coup de Trafalgar. L’arrivée de plénipotentiaires autrichiens au quartier général est annoncée, à Paris, dans les salles de spectacle ; elle excite « de véritables transports de joie. » La police de Fouché souffle ces opinions, puis les recueille en bulletins et leur donne corps. Fouché ne comprit jamais rien à l’Europe. Ce policier astucieux, chaque fois qu’il s’assit au jeu des diplomates, y perdit la partie. Donc il croit la paix possible, la prône, l’annonce.

Joseph mène, à Paris, sa campagne parallèlement à celle de Napoléon. Il prépare son rôle d’en-cas providentiel. En-cas de la France, dont il flatte « avec empressement » le penchant à la paix et les illusions sur les limites ; en-cas de l’Europe, à laquelle il se présente comme l’homme le plus propre à jouer le personnage que l’Europe réserve au Bourbon, aîné ou Orléans, qui consentira la paix européenne. Il se figure d’ailleurs, ainsi que le Comte d’Artois, qu’il « gardera » les conquêtes. Savait-il que le traité secret du 11 avril lui réservait un trône dans l’Europe reconstituée et que ce n’était pas le trône de France ? Lucchesini

  1. 20 septembre 1805.