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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/330

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Aussi bien, comme la politique, l’économie politique a-t-elle son domaine propre, qui est, selon la définition classique, la connaissance des sources de production et des lois de répartition de la richesse. Et je n’ignore pas qu’aux yeux de quelques socialistes, la « question sociale » n’est précisément qu’une question de « redistribution » de la richesse. Mais quand ils la présentent sous cet aspect ou par ce côté d’elle-même, ils avilissent eux-mêmes leur doctrine. La « question sociale » est plus qu’une « question de ventre. » « Toute réforme sociale, écrit M. Ziegler, pour être efficace, doit rapprocher les distances, rendre les hommes égaux jusque dans leurs plaisirs et leurs délassemens. » Comment y réussirait-on par le moyen de l’économie politique ? Le triomphe de l’économie politique est au contraire de montrer, en toute occasion, la coïncidence de l’intérêt personnel avec l’intérêt général ; et, assurément, la démonstration n’est pas inutile à la paix sociale. Marchand, si j’offre au public, précisément, et en temps opportun, la marchandise qu’il demande, il est content, et je suis sur le chemin de la fortune. Ingénieur ou mécanicien, si j’invente une machine qui soulage les victimes d’un travail pénible, je commence, il est vrai, par les obliger de chercher un autre métier, mais finalement je rends la vie moins dure à un grand nombre de mes semblables, j’abaisse pour les autres le prix de cette marchandise qu’on fabriquait à tant de frais, j’enrichis ceux qui la vendaient, et, au besoin, je m’enrichis moi-même. « Faire à la fois le bien public et le bien particulier, chef-d’œuvre de morale en vérité. Monseigneur ! » disait Figaro au comte Almaviva. Mais, quand on aurait démontré, — ce qui serait peut-être assez difficile, — qu’en toute occasion l’intérêt personnel coïncide avec l’intérêt général, et, par exemple, qu’à une augmentation des salaires correspond nécessairement une plus grande prospérité de l’entreprise, ou encore qu’aucun patron ne saurait s’enrichir sans faire du même coup la fortune de ses ouvriers, il resterait encore à établir que la distribution de la justice en résulte, et c’est à quoi nous pouvons affirmer que l’économie politique ne réussira jamais. Hélas ! on montrerait presque plus aisément le contraire ; et qui niera que de notre temps des inégalités nouvelles, ou de nouvelles formes de misère, soient nées des conditions mêmes du progrès économique ? La division du travail non seulement n’a pas rapproché les distances, mais elle a certainement aggravé les différences « de culture et d’éducation. »