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et une formule utile à propager parmi les hommes, que « nul ne possède d’autre droit que celui de faire toujours son devoir. » Les cas sont assez rares où l’application en serait à redouter, et je n’en vois guère que d’une sorte, si, par exemple, nous voulions « faire notre devoir » aux dépens de quelqu’un de nos semblables. Et enfin, pas plus ici qu’ailleurs je ne suis le disciple ou l’interprète, le commentateur « perpétuel, » et moins encore l’apologiste d’Auguste Comte, mais je prends de sa doctrine ce que j’en crois de conforme à la vérité.

Scientifique, politique, économique donc, si l’on le veut, mais secondairement, accessoirement, ou de surcroît, la « question sociale » est principalement, et d’abord, une « question morale. » Voilà ce que Comte a parfaitement vu. Voilà ce qu’il a voulu dire, quand il a dit que « nul ne possédait d’autre droit que celui de faire toujours son devoir. » Il a précisé la nature de ce devoir quand, en termes généraux, il l’a fait essentiellement consister dans la « subordination de la personnalité à la sociabilité. » Si la « question sociale » est une « question morale, » c’est parce que cette « subordination » ne nous est pas naturelle, et nous ne nous y soumettons qu’au prix d’un effort considérable sur nous-mêmes. « La moralité, dit excellemment M. Th. Ziegler, est un devenir social qui évolue lentement. La victoire du principe moral, dans un individu comme dans le monde, est toujours une œuvre inachevée. » C’est dans l’individu que cette « victoire » se réalise d’abord. Nous ne pouvons rien de « social » que dans la mesure où nous pouvons quelque chose sur nous-mêmes. c’est donc en nous qu’il nous faut chercher les élémens d’une solution de la « question sociale. » Mais si tous les théologiens, de toutes les religions, l’ont unanimement admis, il ne saurait être indifférent à personne que cette conclusion soit celle du philosophe qui, sans doute, a le plus médit des théologiens et de la théologie. « La question sociale est une question morale ; » c’est ce qu’il me plaît de retenir du Positivisme. Je voudrais montrer maintenant, en m’aidant également de lui, que « la question morale est une question religieuse. » Mais auparavant, et afin d’éclaircir par un exemple vivant ce qu’il peut y avoir de trop abstrait encore dans toutes ces considérations théoriques, je voudrais dire quelques mots de l’abolition de l’esclavage dans l’histoire.