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toujours les devoirs aux droits, pour mieux subordonner la personnalité à la sociabilité. Le mot Droit doit être autant écarté du vrai langage politique que le mot Cause du vrai langage philosophique. De ces deux notions théologico-métaphysiques, l’une est désormais immorale et anarchique, comme l’autre irrationnelle et sophistique... Il n’a pu exister de droits véritables qu’autant que les pouvoirs réguliers émanaient de volontés surnaturelles. Pour lutter contre ces autorités théocratiques, la métaphysique des cinq derniers siècles introduisit de prétendus droits humains, qui ne comportaient qu’un office négatif. Quand on a tenté de leur donner une destination vraiment organique, ils ont bientôt manifesté leur nature anti-sociale, en tendant toujours à consacrer l’individualité. Dans l’état positif, qui n’admet plus de titres célestes, l’idée de Droit disparaît irrévocablement. Chacun a des devoirs, et envers tous ; mais personne n’a aucun droit proprement dit... Nul ne possède plus d’autre droit que celui de faire toujours son devoir. Et c’est uniquement ainsi que la politique peut enfin se subordonner réellement à la morale, suivant l’admirable programme du moyen âge. » [Système de Politique positive, I, 361.]

Si nous voulions « commenter » ce passage, il y aurait sans doute beaucoup à dire ; des distinctions à faire, qui ne seraient pas moins nécessaires qu’elles paraîtraient subtiles ; et l’idée ou la notion de Droit à sauver, en l’expliquant, de la condamnation que Comte prononce ici contre elle. « L’universelle réciprocité d’obligations qui nous lie, » et qui est ce que depuis lors on a nommé du nom de Solidarité, ne saurait à elle seule suffire à remplacer le droit. C’est encore exagérer que de parler de la « nature antisociale » des « prétendus droits humains ; » et si, par exemple, on convenait une fois de définir nos droits par le besoin que nous en avons pour pouvoir procéder à l’accomplissement de nos devoirs, je ne vois pas bien comment Comte s’y prendrait pour en contester la légitimité. Mais c’est assurément un aveu précieux à retenir, qu’il ne saurait exister de « droits véritables » qu’autant qu’on les dérive d’une « volonté supérieure » ou même « surnaturelle. » Il faudrait encore s’entendre sur « la subordination de la politique à la morale, » qui pourrait aisément devenir, — et cela s’est vu plus d’une fois dans l’histoire, — l’instrument de la pire tyrannie. La prétention a été celle de Calvin et de Robespierre. Mais c’est en revanche une belle formule,