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de toutes, qui est celle de disposer de sa personne.

Aurait-on d’ailleurs atteint le même résultat d’une autre manière et par d’autres moyens ? C’est naturellement ce qu’il est difficile ou même impossible de dire. L’histoire est ce qu’elle est, et c’est une assez vaine occupation que de s’amuser à la refaire. Ce qu’il y a de certain, c’est que, dans la mesure où l’abolition de l’esclavage est un commencement de solution de la « question sociale » on n’y a réussi qu’en traitant la question comme une question morale. Quelque opinion que l’on eût sur les différences qui séparent un individu d’un autre, et un « homme noir » d’un « homme jaune » ou d’un « homme blanc, » il a fallu reconnaître, pour pouvoir abolir l’esclavage, que ces différences étaient « superficielles ; » et que n’altérant, mais surtout n’anéantissant en aucun de nous le fond commun de l’humanité, l’égalité d’espèce ou d’origine se déduisait de là. Il a fallu définir ou préciser la nature de cette égalité qui, n’étant évidemment ni physique, ni surtout intellectuelle, ne peut donc être que morale, et consister, par conséquent, qu’en une égalité de titres ou de droits, mais de droits fondés eux-mêmes sur une identité d’obligations ou de devoirs. Ce qu’il y a d’égal en tous les hommes, ce sont, par exemple, leurs obligations de père ou de fils, ou, plus généralement, ce sont leurs devoirs envers les autres, et plus expressément, ce sont ceux de ces devoirs qui ne sauraient varier avec leur « condition. » On ne ferait que jouer misérablement sur les mots, si l’on essayait de soutenir que les devoirs d’un père envers son fils dépendent de la « condition » de ce père :


Le pauvre, en sa cabane où le chaume le couvre,
Est soumis à leurs lois ;


et il est clair que la quotité, si je puis ainsi dire, de l’accomplissement de ces devoirs n’en modifie pas la nature. Mais, si l’on demande là-dessus pourquoi ces devoirs sont conçus comme tels, avec leur force obligatoire, et une autorité qui s’oppose à toutes les conventions que l’on ferait en vue de nous en libérer, c’est ici que l’on voit se former la liaison de la « question morale » avec la « question religieuse. »

C’est ce qui nous permet de croire et d’affirmer que, si l’Eglise n’a pas seule opéré l’abolition de l’esclavage, — et qui donc l’a jamais prétendu ? — elle n’en a pas moins été. la principale ouvrière de cette révolution. Car, avons-nous besoin de démontrer que