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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/345

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faire appel à une autorité qui fût capable d’imposer ses lois aux troglodytes nos ancêtres, et, ne la trouvant pas parmi eux, les hommes l’ont donc cherchée en dehors d’eux. La religion a été cette autorité. Primus in orbe Deos fecit timor... A des Dieux redoutés, qui manifestaient leur pouvoir dans les moindres circonstances de la vie quotidienne on a remis le soin de veiller à l’exécution des coutumes et des lois dont l’observation constituait la morale du clan, de la race, de la cité. Mais, en devenant héréditaires, ces habitudes morales se sont consolidées ; elles se sont comme incorporées à la définition de l’homme ; nous naissons maintenant avec un besoin de justice non moins impérieux que celui du manger ou du boire. On ne saurait le nier sans nier le progrès lui-même. Anglais ou Français du XXe siècle, nous avons des scrupules, des délicatesses, des susceptibilités de conscience que n’avaient pas nos pères. « Le ciel étoilé sur nos têtes, la loi morale dans le fond de nos cœurs... » a dit Kant. Et, dans ces conditions, de quel secours la religion peut-elle désormais être à la morale ? Les prescriptions de la morale sont claires ; les vérités de la religion sont obscures : quel besoin d’envelopper la clarté des premières dans l’obscurité des secondes ? Si la morale a fait jadis alliance avec la religion, d’autres alliances conviennent à d’autres temps ; et puisque vous invoquez vous-même, ajoute-t-on, le témoignage d’Auguste Comte, n’est-ce pas le cas de vous souvenir que, dans cette émancipation de la morale, il a signalé vingt fois le caractère essentiel à la « positivité ? »

Oui, sans doute, il l’a signalé, j’en conviens ; mais il ne s’y est pas tenu ! et je crois avoir montré qu’à son « positivisme » la force de la vérité l’avait obligé de superposer une « métaphysique » et une « religion. » D’un autre côté, je ne suis pas sûr que les prescriptions de la morale soient toujours, et en toute occasion, si claires. Il y a des « cas de conscience ; » et tant pis pour ceux qui n’ont pas éprouvé que le devoir était quelquefois difficile à connaître ! Encore bien plus l’est-il à prescrire. Je ne suis pas sûr non plus d’avoir une conscience plus « délicate » ou plus « scrupuleuse » que celle des maîtres de la vie intérieure, sainte Thérèse ou saint François d’Assise, ni même que celle de saint Jean Chrysostome ou de saint Augustin. Et puis, et enfin, s’il est possible que « la généalogie de la morale » ne soit pas celle de la religion, le contraire ne l’est pas moins... Mais pour achever de répondre à l’objection, il n’est