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que de considérer un de ces systèmes de morale qui se croient indépendans de toute idée religieuse, et, naturellement, je prendrai celui que l’on regarde aujourd’hui comme le plus solide, le plus complet, et le mieux ordonné.

Ce ne sera pas sans avoir préalablement essayé de lever une dernière équivoque, et déclaré pour ma part que je n’entends pas ce que l’on veut dire quand on parle d’une » morale scientifique » ou « fondée sur la science. » Et, en effet, n’est-ce pas ici le cas de demander : « Qu’est-ce que la science ? » J’ai sous les yeux un opuscule encore assez récent, il est daté de 1901, qui fait partie de la Bibliothèque internationale des sciences sociologiques, et qui s’intitule : La morale basée sur la démographie. Je comprends ce que ces mots veulent dire. Je comprendrais également que l’on se proposât de fonder une morale sur les sciences biologiques, sur la zoologie, par exemple, ou sur la physiologie comparée. C’est ce que le docteur Elie Metchnikoff a tenté dernièrement, dans cet Essai de philosophie optimiste, dont la partie scientifique est si remarquable, et d’ailleurs, et en revanche, la partie philosophique si pauvre. Mais, déjà, qu’est-ce que serait, qu’est-ce que pourrait bien être une morale fondée sur la chimie, voire organique, ou sur la géométrie à n + 1 dimensions. Finissons-en donc avec cette plaisanterie. Il peut y avoir des savans qui s’occupent de morale, et qui s’en occupent utilement. On peut porter dans l’examen des questions morales ces habitudes de précision, de rigueur et de logique dont on fait honneur à la « méthode scientifique. « On peut admettre enfin qu’il y ait une « science de la morale. « Mais ce qu’on ne peut pas dire, c’est qu’il y ait une « morale scientifique » ou « fondée sur la science ; » ni que la connaissance de nos devoirs dépende, en quelque cas, et dans quelque mesure que ce soit, de l’état de nos connaissances en microbiologie. « Cela est un autre ordre, » comme disait Pascal ; — et puisqu’il ajoutait : « surnaturel, » je l’ajoute volontiers avec lui.

Arrivons maintenant à la morale de la solidarité, et d’abord, observons que c’est d’elle qu’Auguste Comte a déclaré que « sa prépondérance parmi les hommes n’empêcherait jamais d’immenses divagations ni de profondes dissidences. » Elle ne contient donc pas sa règle en elle-même ! Et, en effet, « toutes choses étant causantes et causées » le caractère moral de la solidarité « et si peu apparent ou, si l’on le veut, il lui est si peu