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ici de nier le pouvoir, n’est cependant pas « cette puissance extérieure dont la suprématie ne nous laisse aucune incertitude ; » et c’est enfin qu’elle a besoin, pour que les applications qu’on serait tenté d’en faire ne soient pas plus dangereuses qu’utiles, d’être elle-même « moralisée. »

Or, c’est à quoi nous ne saurions parvenir qu’au moyen d’un principe qui lui soit extérieur, à son tour, et qui, comme tel, la juge et surtout la règle. « Quand la foi aura directement concouru avec l’amour, l’unité humaine, — entendez ici la vraie solidarité, — se trouvera pleinement établie. Ce concours décisif ne peut résulter que d’une notion fondamentale... capable de condenser l’ensemble du dogme positif. On comprend la difficulté d’une telle conciliation, où réside le nœud essentiel de la vraie religion. Mais cette position finale de la question religieuse en indique aussi l’issue normale, consistant à rendre morale l’économie naturelle, qui commence par être physique, et qui devient ensuite intellectuelle » [Système de Politique, II, 51.] Nous souscrivons pleinement à ces paroles d’Auguste Comte, et nous les expliquons. Solidaires en fait les uns des autres, nous ne le devenons en droit, et moralement, qu’autant que nous trouvons, dans la notion fondamentale d’une origine commune, une raison du dehors, souveraine et impérative, de tendre, tous ensemble et chacun individuellement, vers un but commun. C’est ainsi que les anciens ont conçu la « religion de la Cité, » dont on pourrait dire avec vérité que c’est la seule façon dont ils aient jamais conçu la religion. C’est un hérétique de la « religion de la cité » que les Athéniens ont condamné dans la personne de Socrate, et c’en est un autre que les Juifs ont crucifié sur le Golgotha. Là même, — et je crois l’avoir montré dans une précédente étude sur la Religion comme sociologie, — est la raison de la violence des luttes religieuses. Une communauté se croit atteinte en son principe et menacée dans son existence par quiconque des siens essaie de se soustraire à la solidarité qui la fonde. Mais là aussi est la preuve qu’il ne saurait y avoir de « solidarité » sans subordination à une « puissance extérieure ; » et, avec Auguste Comte, nous entendons par ce mot une puissance qui nous dépasse, nous et nos institutions, dans l’espace comme dans la durée. Quelque nom que l’on donne à cette « puissance extérieure » c’est un commencement de religion que d’y croire ; et, ainsi quelque effort que fasse la morale de la solidarité pour