Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son genre, est un autre positiviste. Ce qui est vrai, c’est que, de même qu’elle a son origine dans l’idée religieuse, ainsi la solidarité n’a de sens que dans et par la religion qui en détermine la nature, l’étendue, les limites et le développement. En dehors de l’idée religieuse, le mot de solidarité n’est qu’un synonyme de nécessité. Le seul « fait positif, » c’est que nous sommes incapables de nous suffire à nous-mêmes ; mais ce fait « positif » est, en réalité, le plus « négatif » du monde, puisqu’il ne nous donne aucune lumière sur les moyens de suppléer à notre insuffisance. Il nous en donne encore moins sur ce que nous pouvons exiger de nos semblables et sur ce que nous leur devons, qui n’est sans doute pas la moindre partie de la morale. Les religions et les métaphysiques, — lesquelles, à cet égard comme à tant d’autres, ne sont que des contrefaçons de religion, — peuvent seules répondre à ces questions, et toutes les fois qu’on y répond, et de quelque manière qu’on y réponde, on fait de la métaphysique ; et selon le sens de la réponse qu’on y fait, cette métaphysique est « confessionnelle, » puisqu’elle est celle du bouddhisme, ou du judaïsme, ou du christianisme.

Quand on dit que la « question morale » est une « question religieuse, » on veut donc dire, premièrement et en fait, qu’on ne connaît point dans l’histoire de système de morale qui ne soit l’application à la conduite humaine d’une conception religieuse, — à moins que ce ne soit la morale « sans obligation ni sanction » de Guyau, laquelle d’ailleurs est tout ce que l’on voudra, mais non pas une morale ; — et on veut dire, en second lieu, que la raison ne saurait concevoir d’obligation ni de sanction qui ne soient ultra ou supra rationnelles. Mais on veut dire encore quelque chose de plus, et on entend, avec M. Benjamin Kidd, dans son livre sur l’Évolution sociale, que, les « questions sociales » étant des « questions morales, » et les « questions morales » des « questions religieuses, » les « questions sociales » sont donc, en dernière analyse, des « questions religieuses. » « M. Herbert Spencer, écrivait M. Kidd il y a quelques années, déplore que l’élément surnaturel dans la religion survive avec force jusque dans notre époque. » Toutes les croyances religieuses, officielles ou dissidentes, impliquent, dit-il, la croyance que le bien et le mal sont tels simplement en vertu d’une ordonnance divine. » Cela est vrai, et non pas en vertu de quelque instinct humain insignifiant. Cela est vrai en vertu