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nature. Et d’abord il faut délivrer les femmes. De la nature ? Sans doute, car, au fond, la nature se dissimule sous les lois, qui n’en sont que l’habit politique. Le moi est l’universelle pierre de touche ; il a la vérité ; il a la santé ; il n’erre pas ; à lui de purifier l’espèce ; à lui de la condamner, ou de s’y préférer. Le moi reste la seule puissance et le seul juge. Il n’a qu’à vouloir.


L’idole de la volonté. — L’ivresse du moi : dans sa force il se croit bon ; et il se décide à agir, pour donner une preuve de sa force.

Être soi tout entier ne diffère en rien d’être soi-même. On s’en fait un devoir. Tout ou rien, c’est la politique de notre morale. Le moi n’a donc pas honte d’être optimiste ? Loin de là, quand il n’en sent pas encore l’horrible nausée, le moi est fanatique du bien qu’il se flatte de faire. Nul n’a plus de foi : il la porte dans les moindres faits de la vie ; car une foi semblable n’est que le furieux appétit qui se jette sur tout.

Il s’assure qu’il suffit à un monde. Puisque tout est mauvais, et que tout pourrait être bon, il est juste de monter à l’assaut, et de miner le mal dans sa citadelle. Il s’agit toujours de tout détruire. Voilà le comble de l’espérance, et qui marque plus de force dans le génie que de clairvoyance. Où la volonté domine, les idées n’ont pas besoin d’être claires ; l’homme voit le monde à travers son désir ; il ne l’a point encore saisi de près, y regardant les yeux dans les yeux ; et celui qui devait être le plus intelligent des poètes, pendant longtemps, n’a pas eu tant d’intelligence que d’énergie. La volonté, cette forme du moi en action, doit renouveler le monde. Va droit au but, se dit le héros ; délivre la volonté, ou succombe. Voilà le comble de l’espérance jusque dans le désespoir ; et, ivre de soi, il s’écrie : « C’est là vivre ! Briser, renverser, frapper ! Déraciner les pins ! Voilà la vie ! Voilà qui endurcit et qui élève ! » L’anarchiste exulte, parce qu’il espère. Dans tout anarchiste qui a la foi, il y a un optimiste qui délire ; et qui peut-être, un jour, s’il guérit de sa folie, la prendra en dégoût. L’enfance de ce tyran, voué à l’exil, jette d’épaisses gourmes. Qu’il est encore loin de sa beauté et de sa grandeur !

Le mouvement importe plus à la volonté que le plan où elle se meut ; et plus que le terme où elle va, la vitesse de la course. Quand les héros d’Ibsen proclament qu’ils sont libres, ils n’ont plus rien d’humain. « Dieu n’est pas si dur que mon fils, » dit