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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/408

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riche action ? Il ne lui en faut pas tant. Il se défie : là-dessous, il sent le moi qui se cache.

Quelle vaste dérision ! Une moquerie inhumaine fait mon immense perspective. Et je n’y puis répondre par la raillerie : même jouée, mon âme ne joue pas. Vouée au rêve, et en sachant la suprême vanité, elle préfère ses miracles à l’horrible insulte de ce désert. À la dérision de la vie, répond la grande amertume.

Déception perpétuelle, ennui total, vide au noyau des passions les plus pleines, et, chemin faisant, une joie merveilleuse qui n’a pas de sens, — rien ne pourra me forcer de faire l’écho au rire qui m’insulte. Mon amour de la vie me confond bien plus que ma tristesse. Car, pourquoi me duper ainsi moi-même, et d’une telle ardeur que chaque instant renouvelle ?

À quoi mesurer la grandeur du moi, sinon au désespoir qu’il y trouve, et au défi passionné de rédemption qu’il y nourrit ? — De là naît l’amertume. Ibsen est bien amer.

L’amertume est l’ironie naturelle aux âmes fortes. La salutaire amertume vient du moi, et y retourne. Elle est comme une Victorieuse qui, debout et seule dans la victoire, laisse tomber ses bras : À quoi bon ? et que ferai-je du triomphe ? Triompher pour triompher ? Mais je ne suis pas un petit enfant qui joue, pour m’en satisfaire. Après s’être bien roulé sur le sable, l’enfant a sa mère, qui le met à table, le caresse, et le couche près d’elle, veillant même sur sa nuit.

Salutaire amertume pourtant, en ce que le cœur y compare sans cesse l’extrême, l’unique douceur de l’amour. Il est bien passé, le temps où l’on pouvait être plus amer aux autres qu’à soi-même. Le moi, c’est l’astre qui compte ses instans et qui se sent descendre. Ha ! bien plus encore : c’est le soleil passionné de la vie, à son couchant dans la mer de la mort.

Le moi, c’est la mort.


Le désir d’amour. — Pour se rendre plus noble, et pour croire à sa noblesse, le moi se fait tout esprit. Il abdique volontiers les passions, et, loin de l’instinct, il s’intronise dans le royaume mort de la connaissance. Il le croit faisable, du moins. Dans la pratique, l’esprit ne conçoit guère un autre lui-même ; et il n’y croit pas.

Le moi n’aime pas qu’une personne humaine soit entée sur sa personne. Il se défie de ce scion vivant qu’on veut insérer à