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La raison de sa présence en Amérique était la nécessité de l’esclavage. L’esclavage une fois aboli, il est devenu un outil trop abondant et hors d’usage. Il n’a pas d’avenir dans la République et les embarras que crée sa présence à l’heure actuelle se liquideront comme toutes les difficultés américaines sur le terrain de l’évolution industrielle. Ainsi, le grand courant de l’immigration qui après 1850 commença à s’orienter vers l’Amérique, se dirigea exclusivement vers le Nord et l’Ouest. D’instinct les nouveaux venus fuyaient la région où l’esclavage était installé. Le régime aristocratique de l’achat des bras n’attirait pas ceux qui étaient venus chercher une terre de liberté. Or, dans le Nord et dans l’Ouest, on vit cette liberté de l’individu engendrer une prospérité féerique tandis que le Sud, avec son régime de servage anti-démocratique, restait stationnaire. Il ne semblait pas que, depuis 1790, il eût fait de progrès normaux. Un recensement aussi récent que celui de 1880, montre encore que, deux ou trois centres mis à part, les États du Sud n’ont attiré aucun élément nouveau d’émigration. Ce n’était plus l’esclavage qui les écartait, mais la débâcle financière et l’abattement qui suivirent la guerre de 1861. Mais voici que la réaction commence. Le capital placé dans les industries du Midi a monté depuis vingt-cinq années de 257 200 000 dollars à 1 500 000 000 dollars. Les salaires payés à la main-d’œuvre des usines ont monté de 75 700 000 dollars à 400 000 000 dollars par an, et moins de deux ans après la guerre avec l’Espagne, l’exportation des cotonnades dans la seule Mandchourie a augmenté de 10 millions de dollars. Sous l’influence du nouveau régime social, on assiste à la régénération d’une partie du pays que l’on avait longtemps considéré comme voué à une nécessaire infériorité. Cela suffira pour attirer le flot d’immigrans qui, en travaillant pour eux-mêmes, assurent la prospérité de la contrée.

Jusqu’à cette heure le nègre n’avait jamais lutté à égalité. Maintenant que les États du Midi ont affirmé leurs droits à la concurrence vitale, le nègre va être mis en contact avec une collectivité d’individus doués jusqu’à la férocité de l’énergie ouvrière. Les conditions de la vie dans le Sud ne vont-elles pas devenir pour lui aussi défavorables que dans le Nord ? N’est-il pas appelé à disparaître lentement, mais inévitablement, devant cette rapide évolution industrielle à laquelle on assiste pour la première fois dans les États du Midi ?