Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

totalement les porteurs d’actions. Il peut même arriver que les dividendes payés aux porteurs d’actions dépassent les profits de l’année et l’intérêt normal du capital engagé. Le capital du trust du sucre, par exemple, a augmenté nominalement quatre fois et demi d’importance, en quinze années ; dans le même laps de temps, la consommation du sucre a à peine doublé et le marché du trust qui représentait 90 pour 100 du commerce total du sucre est tombé à 57 pour 100 en dix ans. Les actions continuent à rapporter 7 pour 100 (actions ordinaires), 12 pour 100 (actions privilégiées). Aussi longtemps que les actions se vendent au-dessus du pair, la Compagnie peut augmenter son capital par de nouvelles émissions. Elle n’est pas tenue à dépenser tout son capital en améliorations ou en agrandissemens. Elle peut disposer de tout ou d’une partie de son avoir pour le distribuer en dividendes aux porteurs d’actions. Les directeurs ne doivent aucun renseignement sur le maniement des fonds et, dans bien de cas, les statuts mêmes de l’association interdisent aux porteurs de demander communication des livres. Le public qui prend des actions du trust n’est renseigné ni sur sa situation financière ni sur ses opérations. Un secret si profond permet aux directeurs, s’ils ne sont pas au-dessus de la tentation, de faire des profits illicites considérables, aux dépens des porteurs de titres, en achetant et en vendant à propos. Et de même il rend possible cette pléthore de capital qui est un des argumens avec lesquels on combat l’institution du trust. Le peuple les attaque sur leur tentative d’établir un monopole qui écrase le petit producteur et permet aux créateurs de trusts de faire monter, de façon illicite, le coût de leurs produits. Pour dire le vrai, aucun des trusts n’a jamais réussi à conquérir un monopole complet. Leur politique a été clairement définie par M. H. O. Havemeyer, président du trust du sucre : « Si vous exigez un trop grand profit, dit-il, vous faites surgir une concurrence. La seule façon de rendre toute concurrence impossible est de tenir vos prix au-dessous du cours. Nous nous efforçons d’abaisser les nôtres à un point qui soit un défi pour nos rivaux. » Si tel était le seul but du trust, on pourrait tout de suite arriver au monopole, et l’avantage que le public y trouverait donnerait à l’opération un caractère presque philanthropique ; mais M. Havemeyer n’est pas un philanthrope, il est un homme d’affaires : « Je pense, dit-il, qu’il est légitime de tirer du consommateur tout ce qu’on peut. » La tentation où est