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de ces combinaisons, il faut oublier que des individus souffrent, pour ne considérer que le bénéfice conquis par la classe des ouvriers dans son ensemble. »

En 1890, la Chambre des députés fit passer une loi qui est connue sous le nom de l’anti-trust. Elle déclare que « toute entreprise affectant la forme des trusts, ou ce qui leur ressemble, toute conspiration pour restreindre le commerce ou les échanges entre les différens États américains, ou entre l’Union et les nations étrangères, est déclarée illégale. » Quand vint le moment d’appliquer la loi, la Haute-Cour s’avisa qu’une telle nouveauté allait enlever aux États le contrôle de presque toutes les affaires importantes en fait de transactions et de commerce pour les soumettre au gouvernement national. On donna donc à la loi l’interprétation suivante, qui aurait ravi Jefferson et ceux qui tenaient pour la souveraineté de l’État opposée au Pouvoir Fédéral. On se ressouvint que le Congrès n’avait nul pouvoir pour réglementer les transactions qui avaient été passées « dans les limites » d’un État[1]. Tel était le cas du trust. Il ne fallait pas tenir compte du fait qu’il pouvait exercer une influence indirecte sur les transactions commerciales qui se nouaient entre des États différens. Le Congrès avait usé de tout le pouvoir que la Constitution lui confère, et il avait échoué dans son désir d’empêcher la multiplication des trusts[2].

Les combinaisons industrielles de cette nature formées dans la seule année de 1899 disposaient d’un capital de deux milliards de dollars. Actuellement, on compte 287 trusts, dont le capital déclaré atteint sept milliards de dollars, soit à peu près le tiers du capital total engagé aux États-Unis dans l’industrie. Quand on se demande comment on pourrait contrôler de telles entreprises, on se trouve en face de solutions différentes. D’un côté, se présentent les partisans de la liberté de l’industrie, qui se réclament de la politique de « laisser-faire. » Russell Sage, le financier millionnaire, estime qu’il faut permettre aux trusts de courir eux-mêmes à leur destinée tragique. « Si les trusts, dit-il, continuaient à augmenter, le peuple américain se révolterait certainement contre leur tyrannie, et alors, ce serait un écroulement financier tel que l’on n’en a même jamais rêvé dans l’histoire du monde. »

  1. Art. Ier de la Constitution : Le Congrès aura pleine puissance de régler le commerce avec les nations étrangères et entre les États différens.
  2. Cette loi dite de l’Anti-Trust est pendante devant les Cours.