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vu. L’image que nous présentent de Chateaubriand ses écrits est d’une solennité continue et d’une magnificence pompeuse ; et ce qui ressort des documens publiés naguère par M. l’abbé Pailhès, biographe et chevalier de Mme de Chateaubriand, c’est que dans l’entourage du grand homme, on le louait volontiers de sa bonhomie. En est-ce assez pour accuser Chateaubriand de duplicité ? Sainte-Beuve n’y a pas marqué dans la campagne de dénigrement qu’il a menée contre lui avec autant d’habileté que de persévérance, apparemment pour se faire pardonner les louanges hyperboliques qu’il lui avait prodiguées d’abord et de son vivant. Véritable déni de justice, car toutes les fois qu’on parle de Chateaubriand, et avec quelque sévérité qu’on lui demande compte de ses secrètes intentions, encore ne doit-on pas oublier que l’homme auquel on a affaire s’est efforcé toute sa vie de se conformer à un idéal de noblesse, de droiture et de générosité chevaleresque.

Mais c’était une âme tourmentée et toute pleine de contradictions. C’était un poète et un artiste. Poète, il savait que la réalité est incomplète et mêlée d’élémens disparates, et qu’il faut la soumettre à un travail tout à la fois d’élimination et d’achèvement pour en dégager le type qui y était contenu. Artiste, il avait le souci de faire de sa vie même une œuvre d’art. De là le désaccord presque constant qu’on peut saisir entre l’homme et le personnage. Ses plus fervens admirateurs l’ont noté aussi bien que ses critiques les plus malicieux. « Lorsque libre de tout regard étranger, entouré seulement des personnes pour lesquelles il avait de la bienveillance et dont l’affection lui était connue, il se livrait à sa vraie nature et devenait tout à fait lui-même, l’entrain de sa conversation qui souvent touchait à l’éloquence, la gaieté de ces saillies, ses bons rires donnaient à son commerce habituel un incomparable agrément. Personne n’était plus que M. de Chateaubriand dans l’intimité simple et bon enfant. Mais il suffisait de la présence d’un étranger et quelquefois d’un mot seulement pour lui faire reprendre son masque de grand homme et sa raideur. » C’est l’éditeur des Souvenirs de Mme Récamier qui s’exprime en ces termes. Tel est aussi le point de vue où nous nous placerons pour étudier le Chateaubriand des dernières années et mettre en regard du type qu’il s’est plu à composer pour la postérité, une image plus réelle, plus vivante, plus complexe et plus humaine.

Nous y serons aidés par plusieurs publications récentes. C’est d’abord la nouvelle édition des Mémoires d’Outre-Tombe que vient d’achever M. Edmond Biré. Grâce à lui, nous pouvons désormais lire