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l’ouvrage de prédilection de Chateaubriand, non plus sous une forme hachée, par coupures arbitraires dont chacune reproduisait un « feuilleton » de la Presse, mais divisé par parties, par livres et par chapitres, d’après la savante ordonnance conçue par l’auteur, et qui seule nous permet d’en apprécier pleinement la valeur littéraire. Il restera à nous montrer, dans un travail historique et critique, par quelles transformations successives a passé, avant d’arriver à sa forme actuelle, une œuvre si souvent reprise, retouchée, remaniée par l’auteur, et à y noter la trace des « variations » de Chateaubriand. Nul ne serait plus que M. Biré capable de mener à bonne fin ce commentaire, nul n’ayant davantage le goût de l’érudition minutieuse, et nul n’ayant rapporté de plus curieuses découvertes de la chasse aux petits faits ; et il nous le donnera sans doute quelque jour. C’est à lui encore que nous devons un volume sur les Dernières années de Chateaubriand[1], composé presque uniquement à l’aide de documens originaux sinon inédits et de fragmens de correspondance. M. Biré remarque très justement que, de tous les grands écrivains du XIXe siècle, Chateaubriand est à peu près le seul dont on ne se soit pas soucié de réunir la correspondance. On a publié la correspondance de Lamartine, de Lamennais, de Joseph de Maistre et de beaucoup d’autres qui ne les valaient pas. La correspondance de Balzac a paru, il y a vingt ans déjà, et les Lettres à une Étrangère nous en apportent le complément. La Correspondance de Victor Hugo a commencé de paraître. Mais pour celui dont un des plus admirables écrits est précisément une lettre, la lettre à Fontanes sur la campagne romaine, nous n’avons aucun recueil d’ensemble. Ce que nous en possédons est sans suite, sans lien, dispersé à droite et à gauche. Une bonne édition de cette Correspondance serait évidemment un recueil où, les lettres se suivant par ordre chronologique, nous pourrions surprendre sur le vif la complexité des états de l’âme de Chateaubriand et saisir dans un même moment ses altitudes diverses. Le volume de M. Biré n’est pas conçu d’après ce plan : on n’y trouve guère que le Chateaubriand « en représentation », courtisan du malheur, partisan des grandeurs déchues, défenseur de la veuve et de l’orphelin. Le ton y est d’une gravité uniforme. Après avoir lu ces épitres d’une éloquence continue, on

  1. Les dernières années de Chateaubriand (1830-1848), par M. Edmond Biré, 1 vol. in-8o (Garnier). — Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, nouvelle édition publiée par M. Edmond Biré, 6 vol. in-12 (Garnier). — Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V..., 1 vol. in-12 (Perrin). — La Sincérité religieuse de Chateaubriand, par M. l’abbé Bertrin, 1 vol. in-12 (Lecoffre).